Bernard Lugan, Histoire de l’Afrique des origines à nos jours

Des his­toires afri­caines racon­tées avec clarté et intelligence

Ecrire une chro­nique du livre de l’africaniste Ber­nard Lugan consti­tue une véri­table gageure. Com­ment en effet pré­sen­ter une étude de 1245 pages sans tra­hir l’esprit de l’auteur et le contenu de ses ana­lyses ?
L
a prin­ci­pale qua­lité du livre — outre bien sûr la masse d’informations qu’il contient — réside dans une mise en pers­pec­tive vrai­ment afri­caine. Autre­ment dit, Ber­nard Lugan remet tou­jours les choses à leur place, c’est-à-dire dans leurs réa­li­tés afri­caines. Dans une intro­duc­tion d’une très grande clarté, l’auteur nous pré­sente les temps his­to­riques de l’Afrique, bien éloi­gnés de notre décou­page tra­di­tion­nel Anti­quité, Moyen Age, époques moderne et contem­po­raine. L’histoire de ce conti­nent se struc­ture autour de plu­sieurs périodes : celle des grands chan­ge­ment cli­ma­tiques, de l’islamisation de l’Afrique du nord, des décou­vertes des routes atlan­tiques par les Euro­péens, des grands empires afri­cains du XVIII° siècle, de la période colo­niale, des indé­pen­dances avec leurs fron­tières arti­fi­cielles, de la Guerre froide et enfin de l’après-Guerre froide. De plus, Ber­nard Lugan insiste sur l’hétérogénéité du conti­nent. Il existe bien des Afriques : celle des régions sep­ten­trio­nales et médi­ter­ra­néennes, celle du Sahel, celle des Grands Lacs, celle des régions aus­trales, etc. L’histoire afri­caine est une somme d’histoires régionales.

Le lec­teur néo­phyte subit, il est vrai, quelques dif­fi­cul­tés à se mou­voir dans les réa­li­tés des eth­nies afri­caines, leurs modes de vie, leurs cultures, leurs luttes. Mais recon­nais­sons à Ber­nard Lugan deux qua­li­tés qui font le bon uni­ver­si­taire : la clarté du pro­pos et la qua­lité de l’analyse scien­ti­fique. A l’aide de cartes fort utiles, le lec­teur peut suivre le che­mi­ne­ment de ces his­toires afri­caines si dif­fé­rentes des nôtres. Le corps du texte est agré­menté de tableaux de chiffres et de cadres fai­sant le point sur une ques­tion par­ti­cu­lière. La biblio­gra­phie est impres­sion­nante.
A
rrêtons-nous sur quelques exemples. Ber­nard Lugan consacre un cha­pitre sur les traites escla­va­gistes qui met bien en valeur la com­plexité de ce phé­no­mène dra­ma­tique et inhu­main. L’Afrique a en effet subi trois traites : celle dite atlan­tique, la mieux connue, menée par les Euro­péens ; celle qui lui est direc­te­ment liée, à savoir la traite entre Afri­cains et enfin la traite arabo-musulmane depuis la mer Rouge et l’Océan Indien. A l’aide de chiffres, Lugan tente d’en fixer les consé­quences démo­gra­phiques. Mais il insiste aussi sur le rôle joué par les Euro­péens dans le mou­ve­ment abo­li­tion­niste qui connaît une accé­lé­ra­tion avec la colonisation.

De même, la mise en pers­pec­tive du livre per­met de sai­sir la briè­veté et l’intensité de la période colo­niale. A peine 70 ans. Mais la colo­ni­sa­tion a jeté l’Afrique dans une mon­dia­li­sa­tion à laquelle elle n’était ni inté­grée ni pré­pa­rée ; elle l’a pla­cée sous la domi­na­tion d’une culture euro­péenne fon­da­men­ta­le­ment étran­gère à la sienne. On appré­ciera l’analyse des dif­fé­rentes colo­ni­sa­tions fran­çaise et bri­tan­nique, alle­mande et por­tu­gaise, qui, toutes, ont géré leurs ter­ri­toires selon leurs propres prin­cipes et héri­tages his­to­riques. Le fait que ce soit la France répu­bli­caine qui colo­nise l’Afrique est fon­da­men­tal pour com­prendre les déchi­re­ments de la déco­lo­ni­sa­tion en Algé­rie. S’appuyant sur les tra­vaux de Jacques Mar­seille et de Daniel Lefeuvre, Lugan conclut que l’Afrique colo­niale fut une charge pour la France (comme pour le Royaume-Uni) qui a ralenti son propre déve­lop­pe­ment éco­no­mique.
A
utre ques­tion essen­tielle : com­ment l’auteur explique-t-il l’échec de l’Afrique indé­pen­dante ? Cinq élé­ments sont mis en avant : la ques­tion de l’Etat et des fron­tières qui, d’inspiration euro­péenne, ne cor­res­pondent pas aux réa­li­tés com­mu­nau­taires, hié­rar­chiques et soli­daires de l’Afrique ; le poids de la démo­gra­phie galo­pante qui trans­forme les disettes en famines et nour­rit les bidon­villes des métro­poles ; le nau­frage éco­no­mique de modèles inadap­tés ; l’échec de toutes les orga­ni­sa­tions pan­afri­caines inca­pables d’empêcher les conflits entre Etats et entre eth­nies qui sont ins­tru­men­ta­li­sés pen­dant la Guerre froide, avant de deve­nir pure­ment afri­cains à par­tir des années 1990. Lugan se démarque d’ailleurs de nom­breux afri­ca­nistes par son insis­tance sur les réa­li­tés eth­niques de l’Afrique qui pèsent dra­ma­ti­que­ment sur le des­tin de ce continent.

Ce livre se révèle être une mine d’informations à por­tée du plus grand nombre, un ins­tru­ment de tra­vail des plus utiles. Notons qu’une telle étude aurait mérité une belle et longue conclu­sion repre­nant l’ensemble des per­ma­nences des his­toires des Afriques et qui ouvri­rait pour les lec­teurs des pers­pec­tives nou­velles. L’idée qui se dégage des ana­lyses de Lugan est que l’Afrique, si elle veut s’en sor­tir, doit rede­ve­nir elle-même, assu­mer sa part de res­pon­sa­bi­lité dans ses échecs et reje­ter les impor­ta­tions politico-culturelles de l’Occident. On le com­prend, ses thèses sus­ci­te­ront des dis­cus­sions. Et c’est ce qu’on sou­haite à ce livre : un débat scien­ti­fique et de haut niveau, à l’image de son contenu.

f. le moal

   
 

 Ber­nard Lugan, His­toire de l’Afrique des ori­gines à nos jours, Paris, Ellipses, 2009, 1245 p. — 49,00 euros.

 
     

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