Les racines premières de l’art
Marie-Paule Barges ouvre sa collection « d’art & d’autres » avec des photos d’Alain Béguerie ponctuées de textes très différents dans leurs factures et leurs genres. Le photographe est aussi sculpteur d’une matière très particulière : l’alios, agrégat humo-ferrique que l’on trouve dans les Landes. Cette matière n’est pas a priori faite pour la sculpture tant elle s’effrite entre les doigts. Sculpter n’est d’ailleurs pas le mot juste : le créateur assemble des fragments d’agrégats puis joue sur les angles de vue et la lumière pour capter les formes qu’il souhaite mettre à nu. La photographie retient ainsi des mythes éphémères à la fois de la pierre et de son inconsistance en ramenant aux racines premières de l’art.
Les auteurs sont libres ensuite de s’en emparer pour écrire à partir des assemblages qui les frappent et leur parlent. Denis Siot y voit l’occasion d’une dérive ancestrale sur le travail de laboureur. Dans son avancée, celui-ci découvre en un sillon une pépite qu’il dégage de la terre. Il y voit une sorte de semblable, de frère. Patrick Trassard — moins discursif, mais tout aussi pénétrant — en cinq vers « image » un assemblage. Il devient pour lui sablier et point d’exclamation plus sou moins inversé pour ponctuer le silence.
L’hymen conjugué des « pierres» assemblées, de leurs photographies et des textes soulève et emporte au-delà de l’instant. Se dégage de l’ensemble une sorte de paix. La vague des textes se dépose au pied des pièces brunes, lisses et en concrétion de l’ordre des cristaux. Mais ce qui est friable et qui va s’effacer échappe paradoxalement au temps.
Les œuvres ont donc un pouvoir de narration par les fantômes qu’elles proposent. L’être s’y déploie, vague dans le sans-limite, pour un temps assemblé et sorti du plus reculé, du plus enfoui. Cette substance n’est plus qu’un œil que celui des écrivains invités regarde pour pénétrer le plus enfoui, atteindre le dedans du dedans, là où s’offre paradoxalement une lumière de la connaissance par les joyaux des plus altérables.
jean-paul gavard-perret
Alain Béguerie, Mythes d’alios, Editions Marges en Pages, Paris, 2017.