Lydie Dattas est un ovni dans le monde poétique et littéraire. Faisant retour sur les temps de l’adolescence, elle évoque la beauté, le charme, le sexe sublimés par une révélation quasi métaphysique au-delà de la pulsion, de l’autre du désir ou de la mélancolie que certaines affres peuvent générer. L’auteure en appelle à une féminité qui se dédouble du regard des autres. La forme donne une force médiumnique voire engagée à ce livre de celle qui rapporte quelque chose de la société marchande et conçue par et pour les mâles.
Ce faisant, Lydie Dattas donne une valeur à sa propre intégrité de femme. Et l’auteur de de préciser : « Je haïssais qu’on me clame belle. Pourtant, aucune expérience aussi profonde que ce moment idiot où je sentis que j’étais la perle qui faisait mourir les hommes. Elle m’apportait ce savoir : le corps des filles n’est pas seulement leur corps, il est aussi leur pensée. » Néanmoins le livre vient prendre par revers cette société intéressée par le corps féminin en oubliant qu’en lui se charpente ce que l’auteur rapporte : une force émotionnelle qui s’envole au-delà des schémas posés sur lui. La poésie devient aussi évidente que paradoxale et critique. Là où un Beckett l’avait portée jusqu’au silence, Lydia Dattas la relève pour le percer et ce, du côté de l’identité féminine.
Celle dont la mère actrice renonça à son métier par amour d’un époux organiste à Notre-Dame fut prise entre la folie de sa mère et la passion musicale ascétique de son père. Elle développa à la fois une spiritualité philosophique ou poétique et la conscience voire le poids d’une beauté sensuelle, séductrice. Son mariage « décalé » fit d’elle une tzigane d’adoption. Elle suit par amour son mari dans la « yourte de pierres » du Cirque d’Hiver et dans son “palais d’illettrés” où elle dut faire ses classes pour se faire accepter. Elle partage avec lui le dégoût pour la médiocrité, la gloire factice et les moyens faciles de les caresser.
Le livre permet de rassembler en unités poétiques et lucides des états d’âmes, de lieux et de situations existentielles. Il ne s’agit pas d’entrer dans le corps ou de le chanter mais de sortir de certaines idées préconçues et grilles de lectures masculine.
La poétesse met à nu les lanières du feu intérieur qui l’anime au-delà du corps que d’autres imaginent avec un goût de miel et de sucre. Son être possède une saveur bien plus complexe et profonde. Lydie Dattas transcende les repères visuels et fantasmatiques qui l’enclosent. Produisant un “babil d’ une classe devenue dangereuse” (pour paraphraser Prigent), la poétesse fait surgir de manière impressionniste et subtile une revendication essentielle.
jean-paul gavard-perret
Lydie Dattas, Carnet d’une allumeuse, Gallimard, coll. Blanche, Paris, 2017.