Sous le nom de Léo Barthe, le piquant poète Jacques Abeille met le dard en exergue. Pas étonnant dès lors que son roman paysan (le premier de sa trilogie La vie d’une chienne) se raccorde au beau domaine de la littérature plus qu’érotique avec introduction de morceaux de musique pour casser le silence et afin que le libertinage se dise dans une qualité de langue exceptionnelle pour acquérir des lettres de noblesse.
Les infusions des jeux de la bergère et de son amant vagabond sont émises, sans que le “bas” blesse, avec précision, finesse. D’où l’impression parfois de se retrouver en un roman courtois avec une seule différence ou bémol : ici il faut appeler une chatte, chatte et une queue, queue au sein d’assemblages dans l’herbe rare de la garrigue comme dans un lit provisoire où les galipettes permettent au discours (entre autres) de se poursuivre.
Jaillissent par la poésie toutes les sensations éprouvées par les corps. Léo Barthe les rend pleinement présentes, explicites et tendres. Même une fellation n’a plus rien de grivoise : « C’est le sirop de la vie, je le voulais » dit la Bergère à son tendre ami qui avait peur de la dégoûter (p. 48). Si bien que la littérature devient le fondement d’une nouvelle subjectivité avec dévoilement dionysiaque. Tout est mis en place pour lutter contre l’évidence du cogito cartésien.
Il s’agit désormais d’accéder à cet autre niveau de conscience qu’est le corps, ses organes pour que tout soit bien scellé et bien clos en dévers de tout masochisme et selon une expérimentation destinée à révéler les plaisirs de la chair. Le corps n’est donc pas une notion, un concept, mais un ensemble de pratiques, une quête sans fin mais provisoire de la sensation. Son étendue est celle de toutes les émotions extrêmes susceptibles d’être vécues. Si bien que ce que Deleuze nomme « l’hypothèse phénoménologique » est celle du corps vécu comme absolu. Il revient à lui tout entier au sein du plaisir sans hiérarchie de ses organes.
jean-paul gavard-perret
Léo Barthe, Histoire de la Bergère, Editions Le Tripode (réédition du livre paru en 2002 aux éditions Climats), 2017, 160 p. — 15,00 €.