Greil Marcus, Like a rolling stone, Bob Dylan à la croisée des chemins/Sam Shepard, Rolling thunder, sur la route avec Bob Dylan

A l’heure où l’on célèbre le King, c’est un autre géant de la musique pop-rock qui est honoré ici : Bob Dylan

Il était une fois Bob Dylan.
Le poète lau­réat du rock’n’roll. La voix de toutes les pro­messes de la contre-culture des années 60. Le type qui a poussé la folk à cou­cher avec le rock, celui qui porta du maquillage dans les années 70, qui dis­pa­rut dans un nuage de sub­stances illi­cites et qui refit sur­face pour trou­ver Jay-sus ; qui fut décrit comme un has-been à la fin des années 80, et qui passa sou­dain à la vitesse supé­rieure pour accou­cher, à la fin des années 90, de chan­sons qui sont parmi les plus puis­santes de toute sa car­rière. Mes­dames et Mes­sieurs, je vous demande d’accueillir un artiste de la Colum­bia House, Bob Dylan ! 
Voilà pour la ver­sion courte, au Madi­son Square Gar­den en 2002. Pour la ver­sion longue, on se repor­tera à l’autoportrait en cours, Les Chro­niques, dont le pre­mier tome est paru en mai 2005 chez Fayard. Je ne connais pas de bio­gra­phies de lon­gueur inter­mé­diaire qui soit à jour ; les textes pré­sen­tés ici n’en sont pas.

Il faut dire que le sujet est retors : Bob Dylan n’a cessé, depuis bien­tôt cin­quante ans, de se pré­sen­ter sous un visage dif­fé­rent à chaque nou­vel album, et de pro­fi­ter de cha­cun des mil­liers de concerts don­nés pour revi­si­ter lit­té­ra­le­ment son réper­toire, y com­pris les dizaines de clas­siques com­po­sés le long de la route. La com­pa­rai­son avec l’autre groupe de pop musique défiant les âges, les Rol­ling Stones, est d’ailleurs ins­truc­tive : depuis qu’il est mort (cf. Mick Jag­ger, un démo­crate, 1960–1969, F. Bégau­deau, Ed. Naïve), Mick Jag­ger orga­nise de somp­tueuses grand-messes, impo­sant à ses aco­lytes de repro­duire, par­fois à la note près, les clas­siques du groupe pour mieux asseoir sur ce ter­rain sta­bi­lisé sa répu­ta­tion de plus grand show­man du monde libre, ou presque (cf. le qua­druple DVD The big­gest bang sorti cet été). Le concert de Bob Dylan à Paris en avril der­nier s’est fait, lui, sans mini-scène se dépla­çant au-dessus de la foule, ni grand écran, ni même un mot au public. Mais jamais “It’s alright, Ma (I’m only blee­ding)”, mor­ceau de 1964, maintes fois repris sur scène, n’avait été vio­lenté comme ça.

L’écri­vain Sam She­pard et le jour­na­liste Greil Mar­cus ont judi­cieu­se­ment choisi de ne s’intéresser qu’à une par­tie de l’œuvre de Bob Dylan.

Pour le pre­mier — Rol­ling Thun­der, sur la route avec Bob Dylan, un texte datant de 1977 mais publié chez Naïve en 2005 — il s’agit d’une tour­née amé­ri­caine de l’automne 1975, la Rol­ling Thun­der Revue. Recon­nues la qua­lité gra­phique de l’ouvrage, et une éven­tuelle valeur de témoi­gnage, je ne suis pas sûr que ce récit pré­sente un grand inté­rêt. Sauf peut-être le charme désuet de la poé­sie beat­nik : 
le meilleur endroit pour écou­ter la musique des rails, c’est les toi­lettes, quand on tire la chasse et que l’œilleton en inox s’ouvre au fond de la cuvette, bâillant sur la terre nue.
Mais la confron­ta­tion du chan­teur et de ses amis sal­tim­banques avec une Amé­rique his­to­rique et pro­fonde — Dylan sur le May­flo­wer, Dylan sur la tombe de Kerouac, dans le der­nier vil­lage Sha­ker… — ne révèle en défi­ni­tive pas grand-chose de la radi­cale nou­veauté de ce regard sur le monde.

C’est par contre le point fort du texte de Greil Mar­cus, publié d’abord chez Galaade puis réédité en mai der­nier dans la col­lec­tion “Points” des édi­tions du Seuil. Par­tant du mor­ceau — immense — “Like a rol­ling stone”, le jour­na­liste amé­ri­cain rédige un authen­tique mémoire de thèse. L’analyse est rigou­reuse : étude du contexte his­to­rique et musi­cal, avant et après ce mois de juin 1965 (l’année, entre autres, de “Satis­fac­tion” : cette pré­ci­sion pour les Scor­cese et consorts qui pré­sentent l’avènement de Dylan comme un météo­rite dans un ciel de varié­toches…), puis dis­sec­tion du pro­ces­sus de créa­tion avec la mise en place des dif­fé­rents ins­tru­ments, l’évolution du chant alors que le texte pro­gresse. Mais le plus remar­quable reste le tra­vail sur la cohé­rence du mor­ceau avec l’album qu’il ouvre (High­way 61 revi­si­ted — indis­pen­sable), et avec le reste de l’œuvre du chan­teur. Pen­dant quelques pages, on est alors sur la route avec Bob Dylan : 
Le pays non car­to­gra­phié annoncé dans “Like a rol­ling stone” est, lui aussi, encore là, sus­pendu dans les airs comme une terre de dan­ger et de fuite, d’abandon et de décou­verte, de vérité et de men­songe. Au fur et à mesure que “High­lands” avance, on a le sen­ti­ment que per­sonne n’y est allé depuis des années. Cela fait long­temps que le chan­teur a tra­versé ce pays ; il connaît bien son che­min. Il n’aurait rien contre un peu de com­pa­gnie, mais il peut se débrouiller sans.
Hélas, ce qui fait la force de “Like a rol­ling stone” — pour faire simple un nou­veau lan­gage porté par un souffle jamais entendu aupa­ra­vant — manque cruel­le­ment au tra­vail de Mar­cus, par ailleurs construit et documenté.

On attend main­te­nant la ren­trée pour lire quelque chose de Bon sur Dylan.

   
 

g. ménan­teau
-  Greil Mar­cus, Like a rol­ling stone, Bob Dylan à la croi­sée des che­mins (tra­duit de l’anglais — Etats-Unis — par Thierry Pite), Seuil coll. “Points”, 2007, 313 p. — 7,00€.
Pre­mière édi­tion : Galaade, octobre 2005, 312 p. — 21,00 €.
-  Sam She­pard, Rol­ling thun­der, sur la route avec Bob Dylan (tra­duit par Ber­nard Cohen), Naïve, sep­tembre 2005, 211 p. — 20,00 €.

 
     
 

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