Un livre qui laisse ouvertes de nombreuses questions mais reste un agréable, riche et pertinent travail
La commémoration du tricentenaire de la naissance de Vauban s’accompagne d’une floraison d’ouvrages consacrés au maître en poliorcétique (art du siège des villes) et au génial bâtisseur des forteresses courant le long des frontières du royaume de Louis XIV. Le livre présenté par Guillaume Monsaingeon y occupe une place tout à fait particulière du fait de son originalité. Il s’agit d’un recueil de lettres écrites par Vauban destinées à des personnages officiels et à ses intimes. D’utiles notes et des analyses fort pertinentes de Guillaume Monsaingeon, écrites dans un style piquant, permettent au lecteur de mieux cerner le contexte historique comme la personnalité de Vauban.
L’ouvrage recèle plusieurs richesses. Outre la magnifique iconographie qui accompagne les lettres, le lecteur est plongé, au fil des pages, au cœur de ce XVIIe siècle, pas toujours bien connu du grand public, dans cette France de Louis XIV, où tout est grand. Partageant avec le souverain la passion pour la guerre et les bâtiments, Vauban se retrouve donc à la jonction des affaires politiques et militaires. Malgré sa basse extraction de petite noblesse, devenu maréchal tardivement, il fait néanmoins partie de l’élite du règne parce qu’il bénéficie de l’estime et de l’écoute du roi auquel il voue une fidélité sans faille. N’écrit-il pas, au soir de sa vie :
Le Roy me tenant lieu de toutes choses après Dieu, j’exécuterai toujours avec joie tout ce qu’il lui plaira m’ordonner, quand je saurais même y devoir perdre la vie ?
En réalité, ce travail s’adresse à un public large et divers. L’historien militaire y trouve bien évidemment des informations extrêmement riches, autant sur le travail d’ingénieur, sur l’art des fortifications que sur les conflits du long règne. Toutefois, au fil des pages, le portrait de Vauban s’affine. À plusieurs occasions, il sort de ses attributions somme toute strictes de commissaire général des fortifications. Ainsi condamne-t-il la politique du roi d’abandon des places fortes de Strasbourg et du Luxembourg qui affaiblit considérablement la France. Sa plume se fait incisive contre les conseillers du souverain qui ignorent que les États se maintiennent plus par la réputation que par la force. De plus, il s’aventure dans le domaine politique et des relations internationales où il livre des analyses fort pertinentes. Les lettres échangées avec le marquis de Puyzieulx, ambassadeur en Suisse, à propos de la terrible question de la Succession d’Espagne, s’avèrent très visionnaires. Et c’est avec raison que Guillaume Monsaingeon y consacre tout un chapitre. On y découvre un Vauban féru de diplomatie, très au fait de la question et qui voit avec inquiétude la France s’engager dans cette succession. La montée sur le trône de Madrid du petit-fils de Louis XIV (Philippe V), note-t-il dès avril 1699, nous attirera l’Empereur, la Hollande et l’Angleterre sur les bras dans le temps où nous sommes épuisés et désarmés de nos meilleures places [et] nous serions chargés de toutes les misères d’Espagne et des nôtres, qui ne sont déjà que trop grandes.
La solution réside davantage, selon lui, dans une union entre l’Espagne et le Portugal, occasion pour la France de négocier l’acquisition de nouvelles provinces en Europe.
Dernière matière d’enrichissement pour le lecteur, le domaine culturel puisque les lettres contiennent une somme d’informations sur la vie quotidienne au XVIIe siècle, sur le fonctionnement de l’État d’Ancien Régime et de son système militaire, sur les luttes de pouvoir et les relations sociales, et bien évidemment sur la Cour. Il trace d’ailleurs un portrait acerbe des courtisans de Versailles, dont la vie se limite à critiquer ab hoc et ab hac les actions et la vie d’un chacun, juger les choses par rapport à leur passion, de n’aimer rien qu’eux. On entre enfin dans l’intimité d’un homme secret, parvenu au sommet de la gloire militaire grâce à ses talents qui l’ont fait remarquer des grands.
Cet ouvrage ne suffit certes pas à connaître en détail la vie et l’œuvre de Vauban, et laisse ouvertes de nombreuses questions. Toutefois, plus qu’un simple stimulant, il reste un agréable, riche et pertinent travail.
frederic le moal
Vauban, un militaire très civil — Lettres présentées par Guillaume Monsaingeon, éditions Scala coll. “Mémoires illustrés”, avril 2007, 335 p. — 35,00 €. |