Samuel Brussell est à lui-même sa propre diaspora. Le présent ne l’exalte que dans l’intensité des déplacements. Nous nous garderons de les justifier en spéculant sur des explications ataviques. Il faut plutôt aller gratter du côté de refus de la passivité ou si l’on préfère d’une certaine impatience de celui qui, comme Claude Roy le souligna, est plus « beatnick » que juif ou flamand.
Pas question toutefois de trouver dans ce livre (superbement ponctué des photos de Plossu) une raison à ces déplacements. Et les indices laissés ne sont guère probants. De Paris à Bucarest, de Rolle à Tel-Aviv, de New York à — évidemment — Bruxelles (mais la liste est loin d’être exhaustive), l’auteur aura écumé l’occident dont il se veut le baladin à la Yeats ou le locataire ailé. C’est pour l’auteur l’occasion d’écumer bien des anecdotes. Là il est pris pour un « pédé » qui « se tape les plus belles filles » (Jérusalem), là pour un errant que visite une maîtresse “féline” (New York). Preuve s’il en est que le mouvement déplace certaines lignes.
Preuve aussi que le réel échappe à toute démonstration. Il n’est source que de rapports contradictoires. Si bien que la biographie de l’anecdote proposée par le livre est délicieuse. Toujours entre deux sites, le piéton cultive l’inconnu et le déséquilibre. Et la vie qui se cherche en un tel « jeu » remplace le calme infini par l’effervescence. La passivité s’excluant d’elle-même, restent certains contacts, un sens de la déliaison et la poussée qui va jusqu’à exclure tout commentaire sur la signification d’un empressement à la délocalisation.
Demeure néanmoins en commune mesure le plaisir de la traversée dans le souci d’ignorer les états de fixation et de cultiver le goût de l’incertitude. Néanmoins, l’intensité du seul passage crée un jeu inattendu de la répétition. Et quand la vie s’allège ou pourrait s’inscrire en un lieu, il s’agit de s’absenter par la folie des départs. Ils ne sont peut-être pas sans rappeler un obscur passé qui ne saurait se présenter à la conscience ni s’absenter de l’obscurité de l’inconscient. D’où le « pas au-delà » (cher à Blanchot) auquel l’auteur ne fait que se soumettre avec alacrité. Chaque pas de plus portant vers l’intensité tacite ou vers un abîme de vérité.
jean-paul gavard-perret
Samuel Brussell, Mes 52 déménagements, Photographies de Bernard Plossu, Editions Yellow Now / A coté », Crisnée (Belgique), 2017.