Ün clap plaschair”(1) pour un parcours de vie à entreprendre avec Denise Mützenberg

(1) un grand plai­sir en romanche

Plus que qui­conque, Denise Müt­zen­berg sait que seule l’invention poé­tique per­met de pré­ve­nir la des­truc­tion immi­nente. C’est pour­quoi même lorsqu’elle pré­sente des sortes de nau­frages (comme dans le livre qu’elle édite en ce moment :  “Fenêtre sur cour” de Marion Schal­ler), la poé­tesse pour­suit une visée rédemp­trice. For­mel­le­ment accom­plies, ses propres his­toires nous hissent hors de l’eau pour atteindre une île mys­té­rieuse Le poten­tiel poé­tique pos­sède une élo­quence rare par le velouté et le mou­ve­ment des textes qui par­ti­cipent à l’effet miroir. Sans doute parce qu’ils sont sous-tendus d’une réflexion à la fois esthé­tique et existentielle.

De l’auteure : « Le bois de velours », Genève, Le Miel de l’Ours, 2016., « Aruè – Poe­sia Val­la­dra – Poé­sie romanche de Basse-Engadine et du Val Müs­tair »Antho­lo­gie édi­tée par Denise Müt­zen­berg, Samiz­dat, 2015.

 Entre­tien :

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Les arbres près de mon bal­con et les livres en tra­vail qui m’appellent !

Que sont deve­nus vos rêves d’enfant ?
Je vou­lais être mis­sion­naire, explo­ra­teur puis impre­sa­rio : je suis deve­nue tout cela en deve­nant éditrice.

A quoi avez-vous renoncé ?
Ai-je renoncé ? Je ne sais pas. J’aime cette phrase du poète Anto­nio Machado : « Cami­nante, no hay camino, se hace camino al andar ». Che­mi­nant, il n’y a pas de che­min, c’est en mar­chant qu’on trace son chemin.

D’où venez-vous ?
D’un petit bois près du lac de Neu­châ­tel (le bois des vernes) où j’allais enfant à la recherche de Dieu.

Qu’avez-vous reçu en « héri­tage » ?
De mon père un jar­din ouvrier et l’odeur du plomb et du papier dans l’imprimerie où il était typo, de ma mère le goût des his­toires qu’elle inven­tait pour ma jumelle et moi.

Qu’avez vous dû “pla­quer” pour votre tra­vail ?
Rien. Dans ma vie tout est entre­mêlé. Ma mai­son d’édition est chez moi. Ou plu­tôt depuis quelques années c’est moi qui habite chez Samiz­dat. C’est d’ailleurs écrit sur la porte de mon appar­te­ment locatif.

Un petit plai­sir — quo­ti­dien ou non ?
Impro­vi­ser sur mon vieil harmonium.

Qu’est-ce qui vous dis­tingue des autres poètes ?
Chaque poète est unique.

Com­ment définiriez-vous votre manière d’aborder le tra­vail d’édition ?
J’avais écrit à une amie en 2008, « Samiz­dat : le plus impor­tant dans cette aven­ture qui se déve­loppe de façon ines­pé­rée, ce sont toutes les rela­tions humaines qui en sont l’origine et la fin. » ) Neuf ans plus tard, c’est tou­jours ça, plus que jamais. (Même si les livres me paraissent de plus en plus lourds.)

Quelle fut l’image pre­mière qui esthé­ti­que­ment vous inter­pella ?
Ce n’était pas une image « esthé­tique ». Mais un gar­çon qui pleu­rait sur le quai d’un débar­ca­dère. J’ai écrit récem­ment : « Plus d’un demi-siècle que je char­rie cette image de texte en texte. »

Et votre pre­mière lec­ture ?
Les livres de lec­ture de l’école enfan­tine. Le pre­mier s’appelait le livre rouge. Puis il y a eu le bleu et le vert. A sept ans, j’ai adoré « Mon second livre ». Un texte par­lait du « mus­cari qui sent la pomme. » Toute ma vie j’y ai repensé en voyant les mus­ca­ris. Qui ne sentent pas la pomme…

Quelles musiques écoutez-vous ?
En ce moment, un ancien enre­gis­tre­ment des œuvres pour orgue de Bach jouées par Jean-Charles Ablit­zer (cho­rals de Schü­bler), des poèmes romanches de Luisa Famos mis en musique par Fanny Ande­regg (une mer­veille) et une com­pi­la­tion de musica latino-americana (Vio­letta Para, Vic­tor Jara).

Quel est le livre que vous aimez relire ?
Je lis chaque matin un psaume. Et quand j’arrive au 150, je recommence.

Quel film vous fait pleu­rer ?
Tous. Il faut dire que je n’ai pas de TV et que je vais rare­ment au cinéma. Je ne suis donc pas immunisée.

Quand vous vous regar­dez dans un miroir qui voyez-vous ?
Etrange ques­tion pour une jumelle. Nous avons écrit ensemble, Claire et moi, un livre inti­tulé « Le piège du miroir ». Edi­tions de l’Aire, Vevey, 2002.

A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Je ne vois pas. J’ai eu des cor­res­pon­dances pas­sion­nées. Et je conti­nue d’écrire de vraies lettres avec du papier et un stylo.

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Sils-Maria où ont vécu Nietzsche, Anne-Marie Schwar­zen­bach et deux poètes que nous avons édi­tés : le grand Remo Fasani (Gri­son de langue ita­lienne) et la jeune Jes­sica Zuan qui a écrit en romanche de Haute-Engadine : L’Orizi/la Tempête.

Quels sont les écri­vains et artistes dont vous vous sen­tez le plus proche ?
J’ai le bon­heur d’avoir dans mon entou­rage un musi­cien, deux dan­seuses, plu­sieurs artistes et de très nom­breux poètes. Com­ment pourrais-je être plus proche que je le suis d’eux dont je connais les soifs et les bles­sures au quotidien ?

Qu’aimeriez-vous rece­voir pour votre anni­ver­saire ?
Je vais rece­voir un émou­vant cadeau : la créa­tion d’une œuvre pour bary­ton et piano com­po­sée par mon fils Fran­çois sur les poèmes de son père Gabriel, mort en 2002 : Les chants du veilleur. Que dési­rer de plus ?

Que défendez-vous ?
En se bat­tant pour la poé­sie, en mani­fes­tant pour l’accueil des migrants, en sou­te­nant une langue mena­cée, on défend sans doute quelque chose, mais quoi ?

Que vous ins­pire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Je pense que ça m’arrive sou­vent. Mais est-ce l’Amour ?

Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la ques­tion ?“
C’est bien son humour ! J’ai écrit il y a trente ans : « Et si la poé­sie était au fond de la bles­sure l’os de l’ultime ques­tion ? » La vôtre me donne envie de rem­pla­cer le mot « os » par le mot OUI… en écri­vant « l’oui à l’ultime question. »

Quelle ques­tion ai-je oublié de vous poser ?
Je ne vois pas. Mais j’ai bien aimé jouer à ce jeu en cet après-midi d’été.

Pré­sen­ta­tion et entre­tien réa­li­sés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le13 août 2017.

Leave a Comment

Filed under Entretiens, Poésie

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>