Combinaison réussie du réalisme et du surnaturel
Véronique Sales est l’un des écrivains contemporains dont on attend avec impatience chaque nouvelle publication, l’auteure d’une œuvre rare et exigeante, qui mériterait d’être plus largement connue. Son dernier roman, Les Islandais, poursuit certaines pistes narratives qui étaient présentes en germe dans des fictions plus anciennes, et qu’elle avait commencé à développer à travers Le Livre de Pacha (que nous avions commenté ici l’année dernière).
L’une de ces pistes, c’est la combinaison de “réalisme“ et de surnaturel. Dans Les Islandais, ils s’entrelacent d’une façon qui semble moins surprenante qu’inévitable, car les personnages sont pour la plupart des spécialistes ou des lecteurs de légendes et d’épopées islandaises, faisant partie de la rédaction de la revue Sagas. La seconde piste, c’est justement le microcosme d’un périodique savant au lectorat minime (comparable à la revue que dirigeait Pavel dans Le Livre de Pacha). Ici, la vie de la rédaction et l’histoire de Sagas permettent à la romancière de se livrer à une satire féroce des intellectuels français — sûrs d’être indispensables et de détenir l’avis le plus juste sur tout sujet, même s’ils fonctionnent en vase clos -, et des faux intellectuels façon Homais, tel Marx, l’emblématique secrétaire de rédaction, éternel contestataire convaincu de sa supériorité sur le patron comme sur les savants qui publient dans la revue.
L’optique satirique donne lieu, au fil du récit, à nombre d’aperçus hilarants et de propos rapportés qui dépeignent la bêtise contemporaine, dans la lignée de Bouvard et Pécuchet, avec une efficacité tout sauf courante parmi les romanciers actuels. L’un des rares personnages à ne pas être traité dans cette optique, c’est Apollinaire Hartog, dont le statut est comparable à celui d’André dans Le Livre de Pacha : ce n’est pas à proprement parler le narrateur, mais toute l’histoire semble vue soit à travers son regard, soit comme une partie de son histoire personnelle. Le roman s’ouvre et se clôt sur lui, d’une façon qui met à distance le microcosme de la revue et les expériences qu’Apollinaire a partagées avec les autres membres de la rédaction.
L’ingéniosité de ce procédé est renforcée par le fait qu’avant et après les vicissitudes de Sagas, l’existence d’Apollinaire a été — et restera — presque entièrement contemplative, tissée surtout de lecture et de réflexion. Le contraste entre les intrigues, l’agitation et les bavardages qu’il a traversés, et les jours paisibles qu’il peut couler “dans la forêt finlandaise“ où il s’installe finalement, fait partie des grandes réussites du roman.
En revanche, la construction narrative implique un autre effet de contraste, que je trouve moins réussi : les deux tiers du récit sont menés de façon non-linéaire, comme dans les livres précédents de Véronique Sales ; le dernier tiers, lui, privilégie le récit linéaire, produisant une impression de brusque changement qui correspond, certes, aux événements voués à changer la vie des personnages, mais qui n’en semble pas moins maladroit, sur le plan littéraire.
Pour un lecteur qui ne connaît pas Véronique Sales, Les Islandais peut être une bonne occasion d’entrer dans son univers ; toutefois, si l’on souhaite commencer par son meilleur roman à ce jour, je recommande plutôt Le Livre de Pacha.
agathe de lastyns
Véronique Sales, Les Islandais, Pierre-Guillaume de Roux, mai 2011, 248 p.- 18,00 €.