Jean-Gilles Badaire, lorsqu’il « illustre » des livres possède une qualité rare. L’abstraction élémentaire de l’écriture est transposée entre le différé et le présent comme si elle se perdait dans l’œuvre plastique pour mieux avancer au moment où son sens est forcément décentré. Le texte n’est plus séparé d’une matière qui devient bien plus qu’un support.
La figuration laisse des traces obscures faite des lambeaux, de portraits ou de taches portées moins vers le réalisme que vers une sorte d’utopie de la vision que Colette Thomas engage. D’où la nécessité de cet échange entre la matière et le texte ainsi que l’intensité d’une attention accordée à l’espace par ce qui devient une méthode paradoxale de reconstruction de l’œuvre de l’auteure.
Pour « scénariser » la femme de Colette Thomas « enfouie au centre même de la souffrance » et qui fermant les yeux voit des cierges autour d’elle et entend une voix murmurer : « Ta mort te prend si tu ne quittes immédiatement ce cercueil, si tu ne franchis tout cet appareil mortuaire pour prier à la propre mort. Agenouille-toi à côté du catafalque (…) prie pour la morte que tu devrais être et qui n’existera pas grâce à ta foi. » l’auteure ne cherche pas à décrire la scène.
Pas plus lorsque plus tard la même entre « dans un cercueil » sans que le sourire ne la quitte parce qu’elle échappe à la honte et qu’elle sent « les planches coller plus étroitement à ses jambes, la sève de l’arbre couler dans le bois, l’écorce se craqueler, la mousse apparaître ». Badaire d’une certaine manière décline le pouvoir des mots pour créer ce qui ne peut se montrer que sans eux.
A savoir cette femme qui « porte sur elle l’odeur de la nature ». Usant d’une forme de métonymie, l’artiste peint le corps et le « paysage » autrement que ce qui fut écrit. Il transforme ce que le texte ouvre et ferme selon une transposition plus perdue et comme ébahie dans le noir, dans le sang de la nuit. Un abîme est suggéré par le portrait comme par des images sourdes presque hallucinées. Elles rebrassent le texte là où le regardeur passe d’une image à l’autre au milieu d’un texte qui soudain est à regarder ailleurs.
jean-paul gavard-perret
Jean Gilles Badaire & Colette Thomas, L’Odeur de la nature, Fata Morgana, Fontfroide le Haut, 2016, 16 p. — 180,00 €.
très intéressant, j’aime tout ce que fait jean-gilles, badaire,
le nyctalope — amiens