Art ou Réalité, faut-il choisir ?
Christóbal, un artiste célèbre est une véritable icône sur l’île où il est né. Sa mort au volant de sa voiture jette le trouble. Elle est empreinte de mystère car il a su se faire autant d’ennemis que de supporters.
À la mairie, Gaspard Fuentes charge Claudio Ramirez, inspecteur à la police criminelle, de faire taire toutes les rumeurs quant à ce décès. Christóbal, qui grandit entre l’alcoolisme de son père et la tendresse de sa mère, montre très tôt des dispositions pour le dessin et la peinture. Il est en butte aux moqueries, aux vexations des enfants de son âge, surtout de Gaspard, le fils du maire.
C’est à quarante-trois ans qu’il revient car : “Cette île est l’un des plus beaux endroits du monde.” Il veut fusionner son art avec elle. Mais, en route pour la maison de ses parents, il entre en fureur quand il découvre Costa del Sol, le gigantesque chantier d’un ensemble immobilier. Sa mère lui explique que les habitants n’ont plus de quoi survivre et qu’ils misent sur le tourisme. Mais Christóbal ne l’entend pas de cette oreille. Il pénètre sur le chantier et commence à saccager du matériel avant d’être arrêté. Il demande à son avocat d’organiser, lors de sa sortie, une conférence de presse. Il mobilise ses amis et relations et fait en sorte de défendre l’intégrité de l’île, se créant en un temps record un paquet d’ennemis.
Quand des fortunes sont en jeu, quand des promesses d’énormes profits risquent d’être anéanties…
Pour construire son scénario, Bruno Duhamel s’est inspiré d’une histoire authentique, celle de César Manrique sur l’île de Lanzarote. Il a fait, en vingt ans, de cette île canarienne sans doute la plus déshéritée, de cette terre volcanique, de ce foyer de migrants, un modèle de développement durable, un laboratoire unique au monde… une œuvre d’art.
L’idée de l’album a germé lorsque le scénariste a découvert l’île et le défi relevé par l’artiste. Cependant, il ne souhaitait pas raconter la vie de Manrique qui, si elle est remarquable pour tout le travail réalisé, ne pouvait pas faire apparaitre les zones d’ombres et de lumière de la thématique dont il voulait faire état. Il voulait raconter une histoire et : “… dans les histoires comme dans la pensée, le Bon n’est crédible que si son adversaire est à la hauteur.”
À travers son récit, Bruno Duhamel interroge tous azimuts, sur l’Art, sur la sauvegarde d’une harmonie naturelle, sur la nécessité de trouver pour les populations les ressources assurant le quotidien… Il porte un regard critique sur des questions actuelles dans le cadre d’une enquête policière où un inspecteur cherche parmi les nombreux ennemis du peintre celui qui aurait commandité un assassinat. Il interroge sur le tourisme qui donne de nouvelles perspectives à des populations, sur le tourisme de masse et ses conséquences.
Des villes dont l’attrait est certain comme Dubrovnik, Barcelone ou Venise où l’afflux de visiteurs est tel que la saturation est atteinte, voire dépassée. Ainsi, la municipalité de Dubrovnik a dû se résoudre à soumettre l’entrée des touristes à des quotas, à ne laisser pénétrer de nouveaux visiteurs que lorsqu’un certain nombre en est sorti ! Mais, malgré ces problèmes, les touristes représentent une manne financière tentante pour des régions économiquement pauvres ou en déclin. L’auteur, cependant, prend soin d’en montrer tous les aspects, laissant au lecteur le choix de sa propre opinion.
En partisan d’un dessin réaliste, dynamique, parlant, Bruno Duhamel exprime avec une grande force les sentiments, les ressentis, les émotions des personnages, des personnages dont les “gueules” sont remarquables, rendues si vivantes en quelques traits. Les décors sont soignés et le cadre attractif.
Avec Le Retour, Duhamel offre un très bel album riche d’un récit passionnant mais interrogateur et de planches de toute beauté.
serge perraud
Bruno Duhamel (scénario, dessin et couleur), Le Retour, Bamboo, coll. “Grand Angle”, février 2017, 80 p. – 18,90 €.