Celui qui n’arrête jamais : entretien avec le photographe Philippe Litzler

Philippe Litz­ler est pho­to­graphe et rédac­teur en chef du maga­zine OPENEYE, le regard d’aujourd’hui sur la pho­to­gra­phie (Voir son blog : http://photographies_phl.eklablog.com/). Fan de Buddy Holly , ses « Peggy Sue » sont des pho­tos dont la capa­cité à appré­hen­der non seule­ment des moments mais l’acte de per­ce­voir créent un « cris­tal tem­po­rel » (Deleuze) d’un genre par­ti­cu­lier entre dépla­ce­ment et pré­sence.
Comme peu de pho­to­graphes savent le faire, Phi­lippe Litz­ler crée des dédou­ble­ments pré­sen­tiels. Alté­ra­tion des objets pho­to­gra­phiés, pré­sence du sujet, espace d’interaction sont orga­ni­sés afin de créer une sur­face réflé­chis­sante et l’intime d’une forme de contact et d’interférences dont le créa­teur mul­ti­plie les relances.

Entre­tien :

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
L’idée que peut-être tout sera nouveau.

Que sont deve­nus vos rêves d’enfant ?
Je pense en avoir trahi beau­coup et réa­lisé quelques autres, comme décou­vrir le monde. Les enfants ne font pas de com­pro­mis, ils sont entiers. La vie nous apprend cepen­dant à en faire. Et donc j’ai appris à com­po­ser, à sur­seoir ou à aban­don­ner des pro­jets. C’est ce que je regrette le plus. Enfant, j’avais de très fortes attentes pour moi-même !

A quoi avez-vous renoncé ?
À la tran­quillité. Au far­niente. Je ne sais même plus ce que signi­fie ce mot.

D’où venez-vous ?
Ma mère était ita­lienne et mon père alsa­cien. Mélange très curieux. J’ai vécu en Alsace et eu une édu­ca­tion plu­tôt reli­gieuse. La famille était éga­le­ment très impor­tante pour nous. Reli­gion et famille, deux car­cans dont il a fallu apprendre à se libé­rer. Cela a pris du temps. Fina­le­ment j’ai com­pris que mes parents m’avaient élevé le mieux qu’ils avaient pu et qu’à leur place je n’aurais pas fait autre­ment. Mais il faut du temps pour le comprendre…

Qu’avez-vous reçu en « héri­tage » ?
Le sens du devoir, de la parole don­née, de la droi­ture et de la loyauté… des qua­li­tés qui ont un peu ten­dance à se perdre aujourd’hui.

Qu’avez-vous dû “pla­quer” pour votre tra­vail ?
Une vie tran­quille pour une vie d’imprévus.

Un petit plai­sir — quo­ti­dien ou non ?
Mon café et mon jus de pam­ple­mousse le matin.

Qu’est-ce qui vous dis­tingue des autres pho­to­graphes ?
J’essaie tou­jours de voir le côté amu­sant d’une situa­tion, car je viens de la cari­ca­ture. On pour­rait dire que mes pho­tos sont des cari­ca­tures de notre société.

Com­ment définiriez-vous votre manière d’aborder le réel ?
J’ai été très influencé par le Sur­réa­lisme. Donc ma per­cep­tion du réel est dif­fé­rente de celle de la majo­rité des gens. J’ai fait beau­coup de recherches per­son­nelles sur l’inconscient et éga­le­ment des recherches his­to­riques sur l’Alchimie (qui fas­ci­nait André Bre­ton). La réa­lité n’est donc pas for­cé­ment ce que l’on voit. Je suis éga­le­ment très inté­ressé par le sym­bo­lisme et les signes. Il faut savoir qu’un sym­bole peut recou­vrir une mul­ti­tude de signi­fi­ca­tions sui­vant l’état de com­pré­hen­sion dans lequel on se trouve.

Quelle fut l’image pre­mière qui esthé­ti­que­ment vous inter­pella ?
Il me semble que ce furent les images de Guy Bour­din qui me frap­pèrent le plus (par­ti­cu­liè­re­ment celle d’une femme accrou­pie devant un bas­sin d’où sor­tait la tête d’un dau­phin ; en fait il s’agissait d’une pub pour une marque de chaus­sures), mais j’adorais toutes les pho­tos aux cou­leurs vives, comme celles de Pete Turner.

Et votre pre­mière lec­ture ?
J’ai lu très jeune… à 6 ans déjà 3 livres par semaines. À cette époque, j’ai beau­coup aimé les livres d’aventure, par­ti­cu­liè­re­ment Jules Verne et Alexandre Dumas. Mais éga­le­ment Edgar Allan Poe. Peut-être le livre qui m’a le plus intri­gué fut le Faust de Goethe dans la tra­duc­tion de Nerval.

Quelles musiques écoutez-vous ?
Je suis un fana­tique de Buddy Holly et je recherche toutes les nou­velles inter­pré­ta­tions de ses chan­sons. J’adore éga­le­ment John Lee Hoo­ker et le blues en géné­ral. Je dois aussi citer Mozart et Mon­te­verdi ainsi que quelques inter­prètes baroques qui bercent mes moments de stress. On n’imagine pas le bon­heur de glis­ser un CD de musique clas­sique dans un lec­teur et d’écouter un orchestre sym­pho­nique quand on veut et où on veut. À l’époque il fal­lait habi­ter une ville où les inter­prètes se pro­duisent et le prix d’un concert du même Mozart coû­tait une pièce d’or !

Quel est le livre que vous aimez relire ?
Il en existe plu­sieurs, mais je ne me lasse pas de relire « Les noces chy­miques de Chris­tian Rosen­kreutz »… un livre mys­té­rieux plein d’énigmes…

Quel film vous fait pleu­rer ?
Je suis bon public et assez sen­sible (mais il ne faut pas le répé­ter) et un film comme West Side Story m’a beau­coup ému.

Quand vous vous regar­dez dans un miroir qui voyez-vous ?
Déjà je me pré­fère main­te­nant qu’à 20 ans ! Mais j’ai par­fois l’impression de voir quelqu’un d’autre. C’est comme décou­vrir un étran­ger… qui serait mon enveloppe.

À qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
À Fran­çois Mit­ter­rand. Je savais qu’il s’intéressait à cer­tains thèmes où j’avais trouvé des pistes très inté­res­santes. Mais bon… je n’ai jamais osé lui écrire car je pen­sais, peut-être à tort, que ma lettre ne lui par­vien­drait jamais personnellement.

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
J’ai eu la chance de pou­voir me rendre à Baby­lone. Pour ma mère, cette ville était la cause de tous les maux. Sur place je n’ai trouvé que des ruines et l’emplacement de ce qui avait été (dans le mythe) la Tour de Babel. J’en suis reparti avec un sen­ti­ment mêlé de frus­tra­tion et de joie.

Quels sont les écri­vains et artistes dont vous vous sen­tez le plus proche ?
Parmi les écri­vains il faut citer André Bre­ton et éga­le­ment l’érudit Georges Dume­zil. J’ai une très grande biblio­thèque et j’aime presque tous les auteurs qui y ont trouvé place. J’oubliai Ful­ca­nelli, mais lui, c’est dans un autre registre.

Qu’aimeriez-vous rece­voir pour votre anni­ver­saire ?
Un disque de Buddy Holly inédit.

Que défendez-vous ?
La jus­tice pour les oppri­més. Je crois que nous sommes arri­vés à un moment où l’exploitation de l’homme par l’homme est deve­nue très sub­tile, dif­fi­cile à déce­ler. Il faut res­ter très pru­dent.
Il faut éga­le­ment plus d’éthique pour ceux qui gou­vernent. Com­ment peut-on expli­quer que l’équivalent de la dette d’un pays comme le Zaïre se retrouve sur des comptes pri­vés en Suisse ? Et ceci n’est pas seule­ment valable pour l’Afrique !

Que vous ins­pire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
L’amour nous trans­cende et nous rend immor­tel… mais seule­ment pour un bref moment. Ensuite, c’est sou­vent la chute dans la rou­tine quo­ti­dienne, qui n’a pas besoin de héros…

Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la ques­tion ?“
Je pour­rais répondre que “Quand un phi­lo­sophe me répond, je ne com­prends plus ma ques­tion.” (Pierre Desproges)

Quelle ques­tion ai-je oublié de vous poser ?
Pour­quoi faites-vous des photos ?

Pré­sen­ta­tion et entre­tien réa­li­sés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 10 juillet 2017.

 

 

 

 

 

 

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