Sanne De Wilde propose un étrange voyage aussi géographique qu’optique dans la petite île de l’Océan Pacifique nommée Pingelep. Sa population est en grande partie achromatope. Elle est victime d’une affection héréditaire qui engendre un daltonisme total. Et si les insulaires daltoniens voient le monde en noir et blanc, Sanne de Wilde tente de percevoir le monde à travers leurs yeux selon trois type d’images : infrarouges, en noir et blanc et aussi sur de mêmes clichés sur lesquelles des peintres achromatopes sont venus poser des couleurs.
Ce triumvirat plastique crée un univers étrange, presque irréel. Le photographe place sa recherche dans le dialogue avec le lieu en un certain sens clos sur lui-même. Plutôt que de ramener à une picturalité reconnaissable, le cliché crée un dispositif d’interrogation quasi « lynchéen ». Tout demeure en suspens dans de paradoxaux tableaux vivants.
Les narrations plastiques créent en leurs douteuses évidences des cassures dans l’absence de réaction aux dynamiques chromatiques du réel. L’amorphie, l’inanité de l’absence de couleurs créent une sorte d’ombre étrange entre le brouillard, la transparence. Il y à la ni envers ni endroit mais une forme de latence. L’énergie du monde s’y perd, s’y dilue, comme affaiblie dans une extrême limite mais se découvre une poésie étrange. Elle accorde une valeur d’aura et donne à l’œuvre sa paradoxale puissance.
jean-paul gavard-perret
Sanne De Wilde, The Island of the Colorblind, Circulations(s), festival de la jeune photographie européenne, Arles, été 2017.