La peinture est pour Anne-Sophie Tschiegg comme l’amour : une matière qui se travaille, s’organise, se reprend selon des circulations et germinations spatiales, des envahissements contagieux même lorsqu’une seule femme est à l’image. Sans doute le partenaire est-il déjà caché derrière et l’englobe. Si bien que la situation — quoique sous forme de litote — en est troublée.
L’artiste jette le doute sur notre position habituelle en dérangeant nos repères. Nous devenons attentifs, soucieux même à la constitution du champ visuel où ne subsiste pour la créatrice comme pour le regardeur que l’assurance de pouvoir se perdre. Celle-ci aime les commencements, les attaques, les préludes. Bref, l’heure d’avènement des possibles qu’elle anticipe juste ce qu’il faut. Et ce au nom « d’un axiome inconfortable et impérieux : l’étonnement qui me donne la sensation d’avancer ».
Petites toiles, collages appellent le jeu des couleurs et des formes. Il crée des résonances festives où l’émotion se saisit. Diverses sensations se répondent par tout un jeu de correspondances. Et même si le végétal apparaît parfois, c’est bien l’organique qui intéresse celle qui annonce et suggère la venue du plaisir en un travail très pointu des pigments et coloris. Se créent des propagations d’atmosphère à l’énergie communicative contagieuse. Nous percevons une étendue voluptueuse. La notion de milieu devient perceptible : l’espace s’étend, entraîne vers la jubilation sensuelle.
S’ensuit (forcément) un plaisir intérieur d’être. La peinture devient gage d’unité du couple libre dont la perception libère mais n’est jamais acquise. D’où les incessantes reprises et repentirs de l’artiste à la recherche d’un rythme, d’une cohérence défaite. La peinture ne se limite pas à sa saisie, elle reste dans le mouvement. Si bien que l’espace est rendu à son doute. Ce dernier fait partie de l’espace car il éveille le contact.
jean-paul gavard-perret
Anne-Sophie Tschiegg, Livre Derrière la Salle de Bains, Rouen, 2017– 8,00 €.