Christophe Bier, Obsessions

Monstres sous pression

Pour Chris­tophe Bier le pié­ton de Paris, l’erreur est urbaine. C’est là qu’il y découvre les fautes de goût qu’il affec­tionne. Le « mau­vais genre » (titre de l’émission de France Culture à laquelle il par­ti­cipe et dont l’écoute est recom­man­dée) devient l’occasion qui fait le lar­don. D’où cet aréo­page de chro­niques intem­pes­tives où nos sem­blables, nos frères (gay ou queer au besoin) sont des acteurs déviants, des star­lettes dou­teuses, des féti­chistes maniaco-dépressifs. Ils font du monde une légende trouble et excen­trique : l’horreur est fas­ci­nante sans que le plai­sir tue (sinon de petites morts).
Obses­sions  est donc un plai­sir réga­lien ou un régal plai­si­rien. L’outrance est sa car­lingue et cette fer­raille tra­verse un océan d’avanies moins vani­teuses qu’avides. Le fils indigne « de Pic de la Miran­dole et de Bri­gitte Lahaie, le bis a son Bos­suet, le X son Savo­na­role et la culture popu­laire, depuis la gazette à un sou jusqu’aux der­nières bobines de Jean-Pierre Mocky » est de ceux que les femmes maigres comme un clou rendent mar­teaux. Il le dit dans une rhé­to­rique plus chargé en alcool que la Mort Subite.

L’ama­teur des vola­tiles baroques fait vibrion­ner dans ses chro­niques les livres de Marie-Laure Dagoit l’incendiaire belle de cas d’X ou rap­pelle à la vie Sim et Maciste le gay luron. Tous les hors-champs y passent. Salut aux freaks à toutes pages. Oui à l’éloge de l’impureté de nos auges qui sont nos seuls pays.
Face aux Kan­dins­kieurs Bier prend les pistes inter­dites avec la puis­sance de dégé­né­res­cence néces­saire pour faire piquer du nez les idées sen­ten­cieuses sur l’art et la lit­té­ra­ture. Certes, sous le strass l’angoisse n’est jamais loin. Tou­te­fois; les icônes en déban­dade (pas tou­jours) créent des élec­tro­chocs ludiques. L’ironie et la curio­sité mettent à mal le sno­bisme des formes qui ovulent si sou­vent en vignettes spé­cieuses. Bier opte pour le ridi­cule. Chez lui il ne tue pas, il assas­sine les idées reçues pour libé­rer l’esprit de tout ce qui l’encombre.

L’auteur imma­tri­cule les aba­tis de notre zoo inté­rieur par ceux qu’il visite afin de mettre en lumière le royaume de nos ombres et de nos ani­maux. Il y a l’amibe, l’iguanodon, la chienne mère véné­rée, le rat sans dégoût ou le rat gan­din. Tous per­mettent d’en savoir plus sur notre propre sta­tut d’homo erec­tus (pen­dant qu’il est encore temps). Bier prouve que les presse-bites ne sont pas myopes et que les morts ne sont pas seuls à se rai­dir dans les cime­tières lorsque les amants s’y étreignent. Néan­moins, il rap­pelle qu’il n’y a pas dans l’homme qu’un pha­co­chère qui som­meille. Il n’est donc pas aussi fermé que l’étaient les mai­sons closes.
Cer­taines espèces qui s’agitent en son bes­tiaire pour­raient cepen­dant s’épanouir dans ce genre de mai­son. Sous la drô­le­rie Bier, par petites gor­gées aci­du­lées, nous rap­pelle que la vie n’est pas légère. Comme ceux d’une femme ses des­sous l’inquiètent. Mais grâce à lui l’animal rit. L’âme humaine devient soluble dans le monstre en man­teaux de visions. Qu’importe si le porc n’est pas épique : l’hygiène la plus intime est celle de l’esprit. Séjour­ner en ter­ri­toires d’un tel livre est donc prophylactique

jean-paul gavard-perret

Chris­tophe Bier,  Obses­sions, Le Dilet­tante, Paris, 2017, 256 p. — 19,50 €.

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