Antoine Arsan, Rien de trop — Éloge du haïku

Poètes mais pas trop ou l’éloge de l’ombre

Dans toute écri­ture digne de ce nom sur­git une forme de sui­cide par erreur suprême : croyant méta­mor­pho­ser le sujet en objet ou l’objet en sujet, il arrive que rien ne change, rien ne se déplace. C’est ce qu’ont bien com­pris les maîtres du haïku. En consé­quence, ils ont déplacé dans la leur le sens de la poé­sie et de la sagesse pour faire tenir dans les mots ce qui leur échappe. Antoine Arsan explique le che­mi­ne­ment de cet art où la forme la plus pré­cise tend à conte­nir ce qui n’en a pas ou celle qui échappe.
Cet art devient ce que Ber­nard Noël lui demande lorsqu’il écrit : “ L’avenir de la poé­sie est d’être source d’avenir parce qu’elle est un per­pé­tuel recom­men­ce­ment ”. Les maîtres de Haïku savent retrou­ver dans le monde sen­sible les pré­sences de choses, arbres, mon­tagnes ou fleuves, qui ouvrent la conscience de soi à la pro­fon­deur des sym­boles. Pour le dire, ils font acte autant de tech­nique que d’intuition afin de pro­duire la sub­stance d’infini qu’ils accordent à l’impalpable.

Ils savent bien sûr les bles­sures, les désastres et les ravages de la civi­li­sa­tion mais, planté au milieu du désastre, le haïku exprime l’espérance de la neige, une beauté plu­rielle et marche vers le secret, le vide, le lieu, le point, l’énigme. Cet art strict est en che­min, va vers quelque chose (même et pour­quoi pas le rien ?) en un lieu ouvert/fermé, un espace à occu­per  : un autre irré­vo­cable, une réa­lité à invo­quer.
Antoine Arsan offre un voyage, une dérive vers cet inconnu connu ou ce connu inconnu que tous les grands poètes cherchent cha­cun à leur manière. Chez nous, il y a Bau­de­laire, Rim­baud, Mal­larmé, Clau­del, Celan ou Beckett. Au Japon, d’autres maîtres ont tra­qué l’inconnu à la fois du monde et des mots selon une pers­pec­tive que Michaux avait (iro­ni­que­ment mais de la manière la plus juste) défi­nie en écri­vant que ces maîtres ont « le cou­rage de ne pas l’être trop ».

jean-paul gavard-perret

Antoine Arsan, Rien de trop — Éloge du haïku, Gal­li­mard, collec­tion Blanche , 2017.

3 Comments

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3 Responses to Antoine Arsan, Rien de trop — Éloge du haïku

  1. tartarin louis

    J’adore votre article sur “Rien de trop –Eloge du Haîku” D’Antoine Arsan.
    Je vais aller vite dans une librai­rie, l’acheté…

    Ceci n’est pas un haïku.
    Hiver brû­lant,
    l’oiseau passe.

    Extrait “Les petit monstres…” édi­tion EDLIVRE, Louis Tar­ta­rin
    cor­dia­le­ment,
    louis Tartarin

  2. Marcel Peltier

    Oui, cette recherche d’équilibre entre l’éternel et l’éphémère, avec des mots de peu, et un mini­ma­lisme qui per­met l’ouverture du poème.
    Voir éven­tuel­le­ment : http://pas1haiku.blogspot.be
    Bien cordialement.

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