Il y a 50 ans Werner Lambersy publiait son premier recueil et très vite l’auteur s’est défendu contre le lyrisme par un travail constant d’épure. Choisissant le français au lieu du flamand, sa langue maternelle (on devrait dire dans son cas paternelle puisqu’il écrit en réaction à l’engagement du père dans l’armée allemande), le poète a trouvé chez Henry Fagne un éditeur de choix. Il le renforça dans son travail d’exigence. Une fois appris et comme il l’écrit à Bruno Durocher, Lambersy « pourra me quitter alors pour aller à Paris, à la conquête de la gloire. Ce ne serait pas la première fois, mais je suis fier d’avoir « découvert » quelques bons poètes, ».
Fagne ne s’est pas trompé. L’auteur est devenu parisien même s’il continue à publier en Belgique. Rappelons son magnifique Maîtres et maisons de thé au Cormier dans lequel il créa « dans le haut lieu de la parole, une cérémonie du geste, c’est à dire du silence ». A l’époque, son œuvre est marquée d’une certaine mystique. En se frottant à Paris où il devient responsable de la Promotion des Lettres belges au Centre Wallonie-Bruxelles, son activité l’oblige à un retour au réel qui va nourrir ses œuvres.
Sa production demeure intense et protéiforme. Textes brefs succèdent aux plus longs à l’image de Ball-Trap où l’auteur renoue avec son propre passé avant de partir à la recherche du « non ». Mais pas seulement. D’autant qu’il est bien plus qu’illustré (car renvoyé à une profondeur de vue) par les magnifiques ponctuations minimalistes de Laurence Skivée.
L’incipit de Von Knapheyde d’où est tiré le titre est parfait puisqu’il se termine par ces mots : « à prendre ou à aimer ». L’auteur une fois de plus illustre que « vie et mort ne vont pas l’une sans l’autre, comme les lacets ». Entre la mythologie et sa propre réalité, Werner Lambersy dévoile son âme et son corps secrets dans l’ « Erosion du silence » en faisant preuve de ce qui manquait le plus à la première partie de son œuvre : l’humour.
Grâce à lui, il tente de rattraper la bande de garnements des grands irréguliers belges de la langue. Il apprend au passage plein de choses simples qui ne servent pas à la vie mais habillent l’existence. Ainsi « la danse est une façon de marcher », ce qui induit que marcher est une manière d’écrire. Elégant et sobre (trop peut-être) dans « Je me suis fait un non » qui suit le plus hybride et déroutant « Ball-trap », l’auteur sait couper le logos pour ne garder que le souffle. Non seulement en choisissant les vers cours ou cassés en plusieurs fragments et des sections ironiquement écologiques voire politiques, mais en osant un flux verbal selon une version particulière de l’autobiographie.
Certes, Lambersy garde un certain « quant à soi » qui ne fait pas de lui un parfait alter ego des Picqueray, des Miguel, de Blavier, de Balthazar, de Koenig ou de Jacqmin. Néanmoins, avec sa personnalité il s’inscrit désormais plus du côté des fossés de la langue que des routes trop droites des performers médiatiques de la littérature commerçante.
jean-paul gavard-perret
Werner Lambersy, Ball-trap, dessins de Laurence Skivée, L’Âne qui butine, Mouscron, 2017, non paginé — 22,00 €.