Jean-Claude Lebensztejn, Figures pissantes, 1280–2014

Arro­seuses et arrosés

Jean-Claude Lebensz­tejn, pour cha­cun de ses objets d’étude, pro­pose un sujet dis­si­dent. Cela for­cé­ment lui évite de se trou­ver enfermé dans des sché­mas. Avec  L’Art de la tache, il en avait fait la preuve et d’une cer­taines manière il reprend la tache et la tâche où il les avait lais­sées. Pré­ci­sons à ceux qui n’aiment pas ce qui appar­tient aux besoins fon­da­men­taux de pas­ser leur che­min. Les éva­nes­cences de la Renais­sance sont loin. Dans ce livre, la « beauté » des situa­tions est due en par­tie au hasard mais en par­tie seule­ment. Le fluide de l’animal hale­tant qu’on appelle humain appar­tient à une néces­saire éva­cua­tion due à son méta­bo­lisme.
L’auteur ne se per­met pas de faire dis­pa­raître ce que la pudeur humaine se plaît géné­ra­le­ment à cacher et qui tient par­fois d’un pénible tour­ment comme d’un sou­la­ge­ment. Selon diverses posi­tions, sous l’effet de bois­sons ou d’absence de cer­taines émo­tions, bref de boire et de déboires l’auteur dis­tille divers types « douches dorées ». Par exemple, après une incur­sion chez Sophie Calle, il rameute photo célèbre d’Andres Ser­rano — dans la série “A His­tory of Sex” – qui fit scan­dale : un homme reçoit dans la bouche l’urine d’un sexe fémi­nin. Il y a aussi Gilles Ber­quet sai­sis­sant dans une de ses pho­to­gra­phies une femme élé­gam­ment gan­tée se fen­dant d’un besoin natu­rel. Et l’auteur se per­met tout autant plu­sieurs décli­nai­sons sur des ange­lots can­dides et joyeux. Parce que, pis­seurs, ils prouvent que les enti­tés ailées ont un sexe.

Des fesses nues de Bosch, à Rabe­lais et son Gar­gan­tua uri­neur depuis une des tours de Notre Dame pour inon­der Paris, de l’urinoir de Duchamp (signé « R. Mutt » (à savoir Fon­taine) souillé par l’iconoclaste Pierre Pinon­celli (Pi-Pi) en pas­sant par le Manneken-Pis « une espèce de Joconde belge » et ses divers détour­ne­ments, l’art ne s’éloigne plus de la nature, il y revient En pro­lon­geant Les pos­tu­lats de pis­sats en diverses manières, l’ensemble per­met de déga­ger des pistes inédites d’explorations selon une thé­ma­tique pour le moins décriée.
Des ondu­la­tions inédites par­courent ici l’histoire de l’art et de la lit­té­ra­ture dans un mou­ve­ment pen­du­laire et selon des visions d’autorité dans leurs fac­tures comme leur argu­ment. L’essence de la pein­ture retourne à celle de la nature, en ses grandes lois des néces­si­tés brutes, pri­mi­tives, ani­males. Il n’est pas ques­tion de faire abs­trait ou figu­ra­tif, mais de cher­cher dans ces « choses-là » toutes les réa­li­tés pour essayer d’accéder à un uni­ver­sel non édulcoré.

L’urine n’offre pas seule­ment un natu­ra­lisme par­ti­cu­lier dans des posi­tions qui n’inquiètent que les coin­cés. L’oiseau laisse ses empreintes pour récon­ci­lier l’art et la vie, l’homme et la nature. La créa­tion ne s’interdit pas une figu­ra­tion par­ti­cu­lière. Son ges­tua­lisme tient dans le sujet. Une pré­ci­pi­ta­tion spé­ci­fique suit son cours pour faire le lit ou la rigole de l’homme dans l’univers.
La mic­tion fai­sant émis­sion et immix­tion, il arrive que l’arroseur soit arrosé mais qu’importe. Le fluide est là. Jean-Claude Lebensz­tejn nous en abreuve avec intelligence.

jean-paul gavard-perret

Jean-Claude Lebensz­tejn,  Figures pis­santes, 1280–2014, Édi­tions Macula, 2017, 168 p. — 26,00 €.

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