« Je préfère de très loin la vie d’un auteur à son œuvre » écrit Michel Ohl dans La poule pond. Ne l’ayant pas connu, il est pourtant facile de comprendre que l’homme aurait dû être parfait (il est décédé en 2014) pour surpasser son œuvre tant elle atteint des sommets. On préfèrera l’œuf à la poule même si ceux qui l’ont connu ne tarissent pas d’éloge à son sujet.
On ne sait si, comme l’un de ses héros, Michel Ohl se pintait au Curaçao mais il est toujours resté de la veine des Surréalistes, les vrais, les pince-sans-rire — à savoir les Belges, comme il fut proche de farceurs très particuliers tels qu’Emmanuel Bove et Gogol. L’auteur trop méconnu reste le maître du grotesque, de la dérision et de la mise en doute jusque dans les moindres détails tant son langage gauchit le vocabulaire et la syntaxe sans pour autant craindre l’imparfait du subjonctif (au besoin).
Evitant de se contenter de « matérialiser son petit « je », dans les aphorismes de Sonica mon lapin il sort de son cerveau non « un modèle réduit de lui-même » mais bien d’autres exploits que les affects mères de l’égo. Celui qui dans la vie évitait de penser afin de supporter la réalité accorda pour l’oublier toute confiance à son écriture. Et il fait partager ce plaisir d’esthète à ses lecteurs.
Jouant avec les textes célèbres (de Flaubert à Joyce) dans ses patchworks littéraires, Ohl reste un parfait irrégulier de la langue. Contrairement à Duras, longtemps il n’a pas cessé de boire de peur de ne plus écrire n’importe quoi et chérissait l’intervalle entre l’état d’ivresse et de sobriété que l’écriture était là pour combler.
Avec le temps, l’auteur estima que son imaginaire était moins hors de ses gonds et ses thèmes moins dévergondés. Voire… Tout cela n’est peut-être qu’une impression : à mesure que l’âge avançait et forcément la mort avec, cette erreur de perspective fut possible Mais les pitreries verbales furent le fruit d’un travail atypique qui ne cessa d’évoluer comme le prouve la confrontation de Sonica (1972) et de La poule pond (2017).
Oulipien à sa façon et pataphysicien à sa main, l’auteur refusa néanmoins toutes les écoles. Proche d’inconnus tel Weyerse qui rêvait de faire l’amour à la vierge Mère Vénérée, Ohl demeure un auteur rare. Le seul défaut qu’on lui connaisse (et pour revenir à la remarque du début) est de penser que pour sauver les larves rampantes de Beckett il suffirait d’appeler le Samu.
jean-paul gavard-perret
Michel Ohl, La poule pond suivi de Sonica mon lapin, La Table Ronde éditions, 2017, 128 p. - 15,00 €.
A consulter : Petites scènes de la vie en papier (même éditeur, 2017) et Capharnaüm n°7, n° spécial M. Ohl, Printemps 2017, Editions Finitude.