Bernard Dumortier, Noces d’hiver

Curée sociale et fami­liale sous un ciel de latrines

D’où vient que le texte de Ber­nard Dumor­tier laisse un goût d’inachevé ? Tout y semble tendu pour retra­cer un enfer. Celui de Modi­gliani, de Jeanne et leur enfant qui meurt dans sa mère. L’auteur ne tombe jamais dans le pathos ni le détail pour ne rete­nir que cette fin sans majus­cule, sans mot plus haut que l’autre. Elle émerge au len­de­main d’une énième cuite du peintre, de sa défaite, sa fêlure.
Tout est en place. Trop peut-être là où les césures du texte ne sont peut-être pas for­cé­ment les bonnes. Et il fau­drait plus de paroles à occu­per l’espace. A trop se rete­nir, le poète semble ne pas assez quit­ter l’uniforme pour abhor­rer et arbo­rer la bles­sure. L’estimant à une trop juste mesure, sa por­tée s’en trouve en par­tie obli­té­rée. Mais il est vrai que pour évo­quer un tel sujet l’équilibre est périlleux.

Pour une fois, trop de mots sont omis pour rap­pe­ler le chaos. A mas­quer la chute, il manque au poème son pha­rynx de revol­ver. Le coup est confis­qué, retenu. Cela n’enlève rien à la beauté du texte : mais il pêche par défaut là où tant d’autres devien­draient diserts. Eu égard à la masse d’ellipses, le lec­teur ne peut défer­ler dans ce laby­rinthe entrou­vert. C’est peut-être une poli­tesse de l’auteur : à quoi sert en effet de voir la mort en face ? Mais pas­ser sans tré­pas­ser pour­rait se dou­bler de la volonté de ne pas se sous­traire à son emprise, de bri­ser des scel­lés.
Reste néan­moins l’histoire de trois corps confis­qués, l’obscurité et l’incomplétude qui se fondent, aux­quels il faut don­ner du sens, rap­pro­cher les lignes. Per­dure aussi le désar­roi en lam­beaux de la perte là où l’enfant, l’homme et la femme — mesures de toutes choses — sont quan­tité négli­geable. Elle émerge du clair et de l’obscur jusqu’à ce que plus rien n’existe. Non seule­ment les corps ont dis­pa­rus mais il faut les faire dis­pa­raître. L’enfer des­sine un autre enfer — celui de la curée sociale et fami­liale — sous un ciel de latrines.

jean-paul gavard-perret

Ber­nard Dumor­tier, Noces d’hiver,  Pas­sage d’encres, coll. Trait court, Guern, 2017 — 5,00 €.

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Filed under On jette !, Poésie

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