Un mélange hétéroclite de caractères qui s’avère explosif
Le premier roman de cette jeune auteure est situé sur une petite île de la Nouvelle Angleterre. Un choix qui ne doit bien sûr rien au hasard, puisque Maggie Shipstead utilise ce « huis clos » de trois jours pour mettre en lumière les conflits (d’intérêts, d’humeurs, de sentiments) qui agitent une communauté en apparence bienveillante et bienséante.
Winn Van Meter retrouve sa femme Biddy et ses filles dans leur maison de campagne, sur l’île de Waskeke, pour mettre la dernière main aux préparatifs du mariage de leur aînée, la très enceinte Daphné. Alors que Biddy a prévu chaque détail avec une précision quasi militaire, la belle mécanique commence à dérailler avec l’arrivée de la future belle-famille et les interactions inattendue entre les personnages. La sœur cadette de la mariée, Livia, récemment et sans ménagement abandonnée par son grand amour Teddy Fenn, se retrouve au centre des attentions du garçon d’honneur du marié ; le cœur de Winn lui-même, loin d’être emballé par ce mariage, balance dangereusement entre la trop sexy demoiselle d’honneur, Agatha, et l’irrésistible envie d’être admis au sein du très prisé club du Pequod. Précisons que celui qui semble lui en barrer l’accès se trouve justement être Jack Fenn, le père de l’ex de sa fille, dont il fréquenta l’actuelle femme jadis, avant de rompre avec elle. Ceci expliquant sans doute cela.
Si c’est Winn qui tient les rênes de la narration durant la majeure partie du roman, les alternances de points de vue permettent notamment d’entrer dans la psyché troublée de Livia. Au fur et à mesure qu’arrivent les invités et que le champagne coule à flot, le glaçage du gâteau se craquèle peu à peu, révélant des sentiments inavoués, des espoirs déçus, des rivalités mauvaises. Ce mélange hétéroclite de caractères aussi disparates qu’affirmés s’avère explosif.
Mais si le désespoir de Livia, l’intransigeance exaspérée de Winn et la patience tranquille de Biddy constituent une base solide et excitante à ce premier roman plutôt réussi dans l’étude approfondie de la nature humaine dans tout ce qu’elle a de sordide, on pourra regretter, outre la traduction d’une qualité pour le moins inégale, que l’auteure n’ose pas aller encore un peu plus loin. Pas dans le glauque, pas dans le trash, mais dans le cynisme – qui affleure et qu’on aurait adoré plus méchant encore. Tous ces gens trop gâtés par la vie, après tout, on adorerait les détester et les voir souffrir un peu plus, trébucher dans leurs contradictions, s’entraver dans leurs vices, s’embrouiller dans leurs rêves de grandeur.
agathe de lastyns
Maggie Shipstead, Plan de table, traduit de l’anglais (États-Unis) par Michelle Herpe-Volinsky, Belfond, septembre 2012, 432 p. — 21,50 €