Expérience “off limits” sondant l’obscur
Sous forme volontairement télégraphiée et revendiquée comme telle, Marius Loris écrit l’urgent, au fil du temps des luttes, non sans humour, à travers les choses vues. Passant près d’un cimetière, il se demande si « dans les siècles des siècles » il aura là son petit lopin. Néanmoins, le poète refuse d’avancer face contre terre. Et ce, en une marche à la fois dans et contre le réel, armé de l’incertitude d’une lutte sociale (mouvement autour de la loi travail de 2016).
Il y à là des mots qui poussent, pas vers le ciel mais qui surtout rapprochent de l’argile terrestre et ce qu’on nomma jadis la glèbe. Marius Loris pénètre ainsi dans les cercles d’une réalité à défaire pour lui redonner des arpents de lumière arrachés à l’obscur d’un monde aride. L’écriture y devient une présence équivoque mais nécessaire. Concédant à peine des pointes de lyrisme, Matraque Chantilly ressemble à une scansion des vies en chantier dans l’effondrement de bien des valeurs et de certaines libertés.
Le livre espère transformer une défaite en victoire. La littérature se veut donc un pas au-delà des absolus des lois. Marius Loris y continue une partie d’échecs au moment où il atteint l’écriture fractale. C’est lorsque le poète note des détails de la vie telle qu’elle est – et jusqu’à celle des mouches. Il révèle ce qui échappe et demeure recouvert au fond des basses eaux de la société et de ses exclus. Lorsque la machine poétique se veut plus directement politique, elle risque de cliver en ne convainquant que les convaincus. C’est le risque encouru.
Néanmoins, faire partager une expérience “off limits” en sondant l’obscur où l’être ne finit pas d’errer est des plus salutaires. Il suffit de savoir que les mots ne possèdent pas le monde et qu’ils ne peuvent même pas en dessiner les contours. Ils ne veulent que rappeler combien la réalité est autre. Elle échappe au pur discours mais la poésie rameute en elle l’ivresse de la sensation. Celle-ci demeure à ce titre un exercice bien plus scabreux que ne l’estiment ceux qui versifient. C’est parce que l’auteur refuser d’y succomber qu’il peut faire sortir de l’obscurité des « ravins de la ville » des passe-murailles. Et c’est pourquoi aussi son livre-matraque est non lyre mais « trébuchet et marteau piqueur » avec tout ce que cela implique.
jean-paul gavard-perret
Marius Loris, Matraque Chantilly, Atelier de l’agneau, St Quentin de Caplong, 2017, 96 p. — 15,00 €.
INTERVIEW DENIS HAMEL : https://vimeo.com/channels/citadelles