Jean Dieuzaide, Elégie espagnole

Petits moments d’éternité

Si , comme l’écrit Michel Dieu­zaide,« tout est réflé­chi », le réel ne cesse de se déro­ber. Mais le pho­to­graphe sait rete­nir l’intensité des moments par la poé­sie de ses images en noir et blanc qui poussent par­fois le réel vers une forme d’abstraction. Fidèle aux écoles pho­to­gra­phiques amé­ri­caines des années 60 autant qu’à l’humanisme, Dieu­zaide cherche la jus­tesse en refu­sant toute osten­ta­tion lyrique.
Même lorsqu’il capte des pay­sages, l’artiste refuse leur pit­to­resque. Il sug­gère la mai­son des êtres, qu’ils soient à l’image — de manière fron­tale (por­tait de Jabès), par apo­ries (effets de robe des Anda­louses) — ou non. Le pho­to­graphe ne sacri­fie jamais à la nos­tal­gie ou au folk­lore exo­gène. Ter­restres, les pho­tos ouvrent le monde à une pro­fon­deur par­ti­cu­lière. Plus que de petits trai­tés d’archéologie du fugace, il com­bine les masses et les vides dans la dis­tance juste des êtres et des choses sans le moindre effet.

Le raf­finé pro­vient de l’épure du lan­gage pho­to­gra­phique. Il ramène dans l’ici-bas du réel, de la vie et de la nature où s’ébrouent les mul­tiples ava­tars des désirs et de leur revers. Les prises gardent une voca­tion fabu­leuse : celle de faire recu­ler le chant des cer­ti­tudes, de mettre une grâce dans les pesan­teurs du tri­vial comme de l’anodin. Elles sur­gissent de la pénombre afin de tou­cher une pré­sence pri­mi­tive et sourde.
Tout oscille en une incer­ti­tude de che­min par une suc­ces­sion d’errances pro­gram­mées dont l’image renaît loin du simu­lacre ou de la relique. A ce titre, le terme « élé­gie » est employé afin de sug­gé­rer un véri­table objet de connais­sance poé­tique plus que pour sug­gé­rer simple retour au passé. Si bien que le créa­teur pour­rait faire sienne la phrase de Denis Roche : « il n’y a que d’un pho­to­graphe dont on puisse dire qu’il com­prend ce qu’il voit ». La soli­tude est sou­vent là. Mais les êtres (même vus de dos) sortent de la sphère de l’indifférencié comme la pho­to­gra­phie s’extrait du docu­ment afin d’entrer dans la poé­sie pure.

jean-paul gavard-perret

Jean Dieu­zaide, Elé­gie espa­gnole , et pho­to­gra­phies in  Vrai­sem­blages  de Ber­nard Noël et  Par­ler à voix basse d’Edmond Jabès.

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