Claire Dumay dépote. Elle n’est pas de celles qui se contentent d’union libre et provisoire ou qui se suffisent de vaquer dans des souks à l’obscure fraîcheur. Par « moments fondateurs » parfaitement ciselés, l’auteure ne cache rien de ses aspérités comme de ses doutes. Elle est terriblement humaine. Et il est rare de rencontrer une telle vérité à la fois du verbe et de l’existence dans ce qui tient d’un répertoire drôle, pertinent, incisif.
Le sommaire pourrait faire penser à du Prévert ou du Ponge : il n’en est rien. Le « matérialisme » comme la fantaisie est tout autre. Jusque dans sa « Jalousie », l’auteur ne passe rien sous silence. L’angoisse se teinte de drôlerie sans tomber dans la farce. Et si un homme lecteur peut s’y reconnaître, gageons que les lectrices seront encore plus séduites par ce que l’auteure nomme « l’ambivalence corset/mise à nu » mais où la liberté va l’amble en dépit de tout ce qui se dresse devant elle y compris certaines désolations quotidiennes.
Claire Dumay retrace pudiquement l’appétit de l’éphémère et de l’énergie, pas seulement du désir. Les hommes deviennent parfois des ombres qu’elle connaît plutôt bien. Et son livre reste porteur de fluide extra-mécanique dans la somme du tout-venant dont est faite la vie. Les mots pour le dire sont parfois des bombes lentes pleines de sens, des mots de manducation et non de mâchouillis. Si bien que la fiction se réveille de ses cendres grâce à la bateleuse éminente qui dénoue par tranches certaines énigmes gordiennes. Elle montre parfois où rebrousser chemin, même si souvent il ne semble apparaître ni clairière en vue, ni nulle route.
Mais c’est ce qui bien sûr permet au discours de se poursuivre.Le paradigme de l’impuissance y sombre, la vie se poursuit. Pas uniquement dans le manque ou l’à peu près mais dans le possible qui serait dégagé des souvenirs que, si souvent, on réinvente sans savoir ce que l’on fait.
jean-paul gavard-perret
Claire Dumay, Arracher le tapis et autres moments fondateurs, Atelier de l’agneau, 2016, 138 p. — 17,00 €.