Roger Giroux, L’arbre le temps

 Quand “je” devient un autre

Partant d’un point aveugle : « J’étais l’objet d’une ques­tion qui ne m’appartenait pas », le « je » de Giroux tente de venir à bout de la cécité dans ce livre majeur enfin réédité. Par son constat de plu­ra­lité, l’auteur ose par­ler les temps et les lieux par le recours à une forme de frag­ments en prose, poèmes brefs au voca­bu­laire et aux pré­sences mini­ma­listes.
L’ensemble arrache au dérou­le­ment tem­po­rel un état imper­son­nel où le « je » devient un autre. Et lorsque le texte traite ce qui semble ano­din, les élé­ments insi­gni­fiants prennent une dimen­sion hors d’effet lyrique. Et ce sera peut-être le seul miracle des­cendu du ciel qui ignore les dieux.

Il faut selon Giroux vivre le jour comme tout le reste : sans vérité. Mais, par l’écriture, le réel tente de résis­ter au milieu de l’air aba­sourdi des songes. Ce tra­vail de trans­bor­de­ment per­met de com­prendre que ratio­na­lité et per­cep­tion deviennent des voiles qu’il faut déchi­rer afin d’atteindre les choses (ou le néant) qui se trouvent der­rière. Dans son livre majeur, Giroux devint un “homme indé­lé­bile” et poreux dont il faut sou­li­gner la rigueur créa­trice. Et ce, en dépit du peu qu’il garde à son ser­vice : « Je n’ai d’autre logis que cette phrase sans contexte, ronde à demi. Toute parole est consu­mée d’un par­fum déri­soire. / Je n’ai d’autre logis que cet absent visage ».
Mais en fai­sant réson­ner bien des chants de bouches mortes le poète leur redonne vie par-delà leurs passifs.

jean-paul gavard-perret

Roger Giroux, L’arbre le temps, Éric Pesty Edi­teur, 2016 — 18,00 €.

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