Michel Seuphor, Peintures et dessins

Le rire de Seuphor

Né à Anvers en 1901,  Michel Seu­phor aura tra­versé tout le XXème siècle jusqu’à sa mort en 1999. Il par­ti­cipe en Bel­gique au mou­ve­ment Dada et en 1921, en col­la­bo­ra­tion avec Joseph Pee­ters et Geert Pij­nen­burg, il crée à Anvers de la revue Het Over­zicht (Le Pano­rama). Il entre alors en contact avec les prin­ci­paux artistes des avant-gardes cubistes, dadaïstes, futu­ristes, construc­ti­vistes, entre autres les Delau­nay, Tzara, Léger, Gleizes, Arp, Mari­netti, Seve­reni, Sophie Taeuber-Arp, Torrès-Garcia et bien sûr Mon­drian dont il devien­dra le prin­ci­pal his­to­rio­graphe.
En 1925, il s’installe à Paris et en col­la­bo­ra­tion avec Enrico Pram­po­lini et Paul Der­mée il fait paraître les Docu­ments Inter­na­tio­naux de l’Esprit Nou­veau, puis fonde ensuite le groupe Cercle et Carré avec Torrès-Garcia et réunit les artistes qui se récla­maient du néo­plas­ti­cisme pro­fessé par Mon­drian. His­to­rien d’art, Seu­phor est aussi un grand artiste. Mais il place sou­vent sa créa­tion au second plan et orga­nise des expo­si­tions de groupe aux­quelles par­ti­cipent non seule­ment les artistes cités plus haut mais aussi Schwit­ters, Kan­dinsky, Le Cor­bu­sier ou Sartoris.

Malade, il s’éloigne de Paris et s’installe dans les Cévennes tan­dis que le groupe Abstraction-Création, créé en 1932, pour­suit le tra­vail de Cercle et Carré. De retour à Paris après la seconde Guerre Mon­diale, il orga­nise à nou­veau de nom­breuses expo­si­tions comme  Les Pre­miers Maîtres de l’Art Abs­trait (1949), 50 ans d’Art Abs­trait, Construc­tion and Geo­me­try Pain­ting (aux USA, 1959) ou encore la grande expo­si­tion rétros­pec­tive de Mon­drian au musée de l’Orangerie des Tui­le­ries la même année.
Seu­phor est aussi un auteur de romans, de poèmes, de contes et d’essais. Dès 1926, il invente la « musique ver­bale » avec « Tout en rou­lant les RR », poème de musique ver­bale (1927) et quatre ans plus tard, il accom­pagne la poé­sie pho­né­tique avec le Rus­so­lo­phone de Luigi Rus­solo. Mais c’est seule­ment en 1951 que les des­sins de Michel Seu­phor trouvent une langue ori­gi­nale. Des lignes hori­zon­tales dis­po­sées paral­lè­le­ment et à des dis­tances diverses, mar­quées par des blancs et que l’artiste nomme ” des­sins à lacunes à traits hori­zon­taux”. C’est le point de départ d’une oeuvre per­son­nelle qu’il explora tout au long de sa vie.

Au début des années 1980, le créa­teur foca­lisa, bien mal­gré lui, l’attention des médias en étant inséré dans un pro­cès rela­ti­ve­ment reten­tis­sant au sujet de trois oeuvres de Mon­drian acquises à la fin des années 1970 par le Musée d’Art Moderne et consi­dé­rées comme des faux par l’établissement mais cer­ti­fiées comme authen­tiques par Seu­phor. Devenu de natio­na­lité fran­çais en 1954, il publia un nombre consi­dé­rable d’ouvrages lit­té­raires et d’écrits sur l’art, notam­ment des études sur Mon­drian, le Dic­tion­naire de la Pein­ture abs­traite , L’Art abs­trait, ses ori­gines, ses pre­miers maîtres et la Sculp­ture de ce siècle, La pein­ture abs­traite, sa genèse, son expan­sion , Le Style et le Cri ainsi qu’une his­toire de l’art abs­trait en cinq volumes, en col­la­bo­ra­tion avec Michel Ragon.
Chez lui, le cri­tique n’a jamais entravé la créa­tion qui garde une incroyable liberté car il a tou­jours su que l’homme qui crée et qui pense « fait chaque jour table rase, il sait faire abs­trac­tion de tous ses acces­soires et de tous ses bagages, ainsi chaque jour il y a concep­tion, incar­na­tion » (Pen­ser c’est être libre, essai inédit de 1943 publié seule­ment en 1984 dans le n° 3 de la défunte revue L’hippocampe, Paris). Chez Seu­phor, comme l’écrivait Gilles Plazy dans le même numéro, « aucune vache à sys­tème ne sau­rait retrou­ver ses veaux ». Poète au sens le plus large, Seu­phor repré­sente la force même de l’art par le plai­sir des signes, des lignes, des mots, des sons, bref de tout ce qui chez lui donne la vie et triomphe de la mort.

Son per­son­nage de Dieu­donné Calf, qui, depuis Le monde plein d’oiseaux vit au centre de ses textes, devient son porte-parole et fait par­ta­ger cette sagesse qui per­met de tra­ver­ser le monde avec la légè­reté d’un dan­seur qui impro­vise et qui, dans ses œuvres plas­tiques, trouve une dimen­sion par­ti­cu­lière. Cette sagesse est toute entière dans un des­sin de l’auteur : « La sou­ve­rai­neté de l’esprit sourd de l’homme qui dit non en riant ».

jean-paul gavard-perret

Michel Seu­phor, Pein­tures et des­sins, Gale­rie Hang’Art, Gre­noble, jusqu’au 26 novembre 2016.

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