Marc Villard — Jean-Bernard Pouy, Tohu-bohu

Chacun des deux auteurs a écrit 6 nou­velles et réécrit 6 nou­velles de l’autre : en résultent 24 nou­velles noires et jouissives

C’est Jorge Luis Borges, dans Fic­tions qui plante le décor dans lequel vont évo­luer­Marc Vil­lard et Jean-Bernard Pouy. Dans “Pierre Ménard, auteur du Qui­chotte”, le pro­ta­go­niste réécrit le Qui­chotte dans la langue du XVIe siècle pour abou­tir à un Qui­chotte en tous points simi­laires à celui de Cer­van­tès, à la vir­gule près. Avec Tohu-bohu, nous décou­vrons un double regard sur une situa­tion don­née. À tour de rôle, Jean-Bernard Pouy et Marc Vil­lard s’échangent douze nou­velles et prennent un malin plai­sir à offrir un nou­veau point de vue à une his­toire, fai­sant fi de leur sub­jec­ti­vité et de celle des pro­ta­go­nistes. La dif­fé­rence prin­ci­pale entre le texte de Borges et ceux de nos deux auteurs de romans noirs réside évi­dem­ment dans la fina­lité de leurs textes. Chez Pouy et Vil­lard, on a un besoin évident de s’approprier le texte de l’autre tout en s’amusant, ou en se pla­giant, alors que chez Borges Pierre Ménard s’identifiait à Cer­van­tès pour réécrire LE Qui­chotte, abou­tis­sant à un chef-d’œuvre, le sien, qui, en réa­lité est celui de Cervantès.

Dans Tohu-bohu, cepen­dant, de temps en temps, l’un s’identifie à l’autre. Pouy devient Vil­lard et Vil­lard devient Pouy. Ce qui est le résul­tat escompté. Dans “La Ligne dure”, qui est la réplique de Vil­lard au “Funé­railles” de Pouy, il y a tout le dis­cours d’un renard, qui est de la veine du second. À s’y méprendre !
La police reste le pou­voir armé de la domi­na­tion du capi­tal. Au centre de la société spec­ta­cu­laire mar­chande, des épi­phé­no­mènes se pro­duisent — tel celui-ci — et nous contra­rient mais je ne perds pas de vue le sens du com­bat : l’instauration des conseils ouvriers. Pas ques­tion de bas­cu­ler par sen­ti­men­ta­lisme dans une posi­tion de social-traître. Il faut savoir tenir une ligne dure et nous, les renards, sommes au centre du dis­po­si­tif révo­lu­tion­naire.

Les thèmes tournent autour du noir et de la tra­gé­die. Les per­son­nages, sou­vent bur­lesques, ges­ti­culent en tous sens, sont vio­lents - très - humains, un peu quand même, mais res­tent doués de rai­son. Même les ani­maux, mis à l’épreuve par Pouy, sont cog­ni­tifs. Cer­taines des nou­velles deviennent alors des fables com­por­tant, comme de bien entendu, une morale :
Quand le renard gratte, moi, le len­de­main, j’ai tou­jours des restes.

Ce sera la conclu­sion à la cor­neille pour un ouvrage ludique et rythmé, dans lequel Marc Vil­lard a tenu à rendre hom­mage à l’écrivain Gilles Man­gard avec une nou­velle où Miles Davis trouve la mort sur un sor­dide trot­toir. On a beau grat­ter le tapis sali de sang séché, il y a tou­jours des restes !

j. vedrenne

 

   
 

Marc Vil­lard — Jean-Bernard Pouy, Tohu-bohu, Rivages coll. “noir”, décembre 2007, 224 p. — 7,50 €.

 
     

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