Emmanuel Tugny & Zoé Balthus, Postface de Cyril Crignon, D’après les livres (Conversation)

 Confron­ta­tions

Il est des livres pas­sion­nants pour une rai­son par­ti­cu­lière : l’intervieweuse est plus inté­res­sante que l’interviewé. Certes, le second n’est pas ano­din, mais l’écoute et sur­tout le tra­vail amont de Zoé Bal­thus envers l’écrivain « multi par­ti­tas » Emma­nuel Tugny, est presque plus riche. Sans doute même. L’auteure, face à celui qui se moque avec empa­thie d’elle en par­lant de ses accents duras­siens et que — avec le même humour — l’écrivaine nomme « Flat­te­rie pour fille », pos­sède une atten­tion aux autres que l’auteur de L’Amant ne connais­sait pas tou­jours — pré­fé­rant l’effet de plon­gée un rien condes­cen­dant qui ne sied pas à Zoé Balthus.

Tout son tra­vail le prouve de manière imper­ti­nente. Il est habité de dérives sub­tiles. Cela lui per­met de recon­naître  un proche chez celui qui ne cesse de créer des récits où les fils se tordent et se perdent dans des effets d’abyme. Si bien que les deux créa­teurs sont frère et soeur. Et la pre­mière de défi­nir le style du second ainsi : « Dans ton style, il n’y a pas de ven­geance, nulle haine réelle que l’on sen­ti­rait mon­ter des tripes, même lorsque cela cogne, saigne et même tue, c’est hors de toi ». Des livres tels que Le Sou­ve­rain Bien, La Vie sco­laire et Après la terre  l’illustrent  : où tout navigue entre réa­lisme et fan­tas­tique.
L’attention de Zoé Bal­thus per­met à l’auteur de pré­ci­ser com­bien le pre­mier de ces deux termes n’est pas de son pro­pos pre­mier : « L’écriture s’y ennuie, on la sent fébrile, enga­gée dans autre chose, comme ravie hors d’elle-même par une dimen­sion sinon plus haute du moins dis­tincte et plus aérée (…) Je dis sou­vent pour faire l’intéressant que la lit­té­ra­ture fon­dée en réel est une lit­té­ra­ture ana­pho­rique ». Il en va de même dans tous les tra­vaux de l’Attentive : elle ne cesse d’ouvrir le monde loin de ce qui est attendu en fai­sant la jonc­tion entre ordre et désordre.

Parfois, tom­bant dans une cer­taine logo­ma­chie, l’interviewé est moins per­cu­tant que Zoé Bal­thus même si les deux cultivent avec rai­son le dés­in­té­rêt pour l’autofiction et les œuvres « des­crip­tives » for­cé­ment décep­tives. La maî­tresse de céré­mo­nie, de par sa « sla­vi­tude », ne se laisse jamais char­mer par le monde tel qu’il est ou les choses telles qu’elles sont.
Néan­moins, l’écriture « ana­go­gique » que reven­dique le créa­teur est plus pré­sente chez Zoé Bal­thus dont la vision paraît plus large : char­gée de réel mais ne s’y anky­lo­sant jamais.   L’ « air » que réclame Emma­nuel Tugny se retrouve plus chez elle. Mais il sera pos­sible de rétor­quer que l’auteur de ces lignes est plus sen­sible à l’œuvre de la seconde que du pre­mier. Tou­jours est-il que cette confron­ta­tion com­mu­ni­cante entre deux créa­teurs est passionnante.

Au moment où Tugny estime « sen­tir » en lit­té­ra­ture « une ser­vi­lité du lan­gage qui me semble lui inter­dire d’être l’œuvre », Zoé Bal­thus crée sans cesse une langue à part entière. Son inter­lo­cu­teur en ses mul­tiples approches ne fait que tour­ner autour. Ce qui n’enlève en rien à la valeur d’une œuvre à laquelle l’accouchement de l’homme par la femme lui per­met d’expliquer sa « sub­stan­ti­fique moelle ». Mais  ” l’infinité ” dont parle le pre­mier en citant Lévi­nas, demeure plus patente et épa­tante chez la seconde.

jean-paul gavard-perret

Emma­nuel Tugny & Zoé Bal­thus, Post­face de Cyril Cri­gnon, D’après les livres (Conver­sa­tion), Gwen Catala Edi­teur, 2016.

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