Laure Forêt : interstices et rhizomes
Laure Forêt poursuit une essence féminine qui ne se fonde plus sur un effet de dieu (on retomberait alors sur une masculinité de la re-présentation). Elle conduit « une » être, qui échappe à la simple reproductibilité autant de l’image que de l’espèce. La femme n’est plus à la traîne d’une queue de comète ; elle s’étoile dans un tissage poétique très particulier qui devient une actualisation inédite de l’ordre du symbole matériel puisqu’il ne s’agit pas de maillage mais d’ “échevelure”. Le désir devient autre, il ne se fonde plus sur un défaut, une absence. S’affirme un ailleurs ici même comme présence puissante et immanente face aux rôles hérités. Bref, l’œuvre en ses « anti– filatures » efface le nocturne au profit de la lumière.
Qui se montre ? Qu’est-ce qui est révélé ? A l’imago, au phantasme est substituée la vision de ce qui échappe et que Laure Forêt saisit autant à l’instinct que par l’intelligence. Ce qui s’ignore, ce qui se perd et demeure opaque, l’artiste lui donne une clarté et la part féminine du monde devient un monde sensible et allégorique qui s’empare des arborescences. Aux profils, la plasticienne préfère les effilements de la lune à son premier quartier comme lorsqu’elle est pleine. Entre textile et cosmos surgit une présence sourde, sensuelle devant le ciel. Il existe des bords et des cœurs. Mais pas celui qu’on assimile à l’âme. D’où la tendresse du vide, du plein, de la lumière.
Laure Forêt rend le corps plus errant que cerné. L’abstraction en sa textualité propose un possible qui devient vrai. L’artiste tend, effile une “machine à voir”. Par delà l’imagination et l’entendement, elle offre un concevable physique et métaphysique. Ecartant les lois duales de l’abstraction et de la figuration, elle refuse le conceptuel afin de créer une différence dans le monde des perceptions. “L’apesanteur” de l’œuvre répond à la lourdeur de la chair qu’elle réoriente dans une vision communicable à qui ne passe pas outre ou ne se contente pas d’un regard distrait, réductionniste, chercheur de consensus normatif hâtif ou d’émotions factices.
jean-paul gavard-perret
Laure Forêt,
– Ce qu’il y a de plus profond, Eva Steynen, Deviation(s) Gallery, Anvers Sept.-Oct 2016 et
– Bozard de l’Abattoir, Exit11, Grand Leez (Bel.) Aout 2016