David Foenkinos, Le potentiel érotique de ma femme

David Foen­ki­nos, qu’on se le dise, est le tendre Hegel de l’ironie roma­nesque douce-amère

Ça com­mence par une impos­si­bi­lité (celle du héros, Hec­tor, de mettre fin à ses jours). Ca se pour­suit par un malaise (ledit Hec­tor frappé du syn­drome de col­lec­tion­nite aiguë). Ca s’achève par la récon­ci­lia­tion érotico-dialectique des contraires. David Foen­ki­nos, qu’on se le dise, est le tendre Hegel de l’ironie roma­nesque douce-amère (ou je sais, c’est un rond carré, mais on peut rêver, non ?).

Pour­tant cette affaire était plu­tôt mal enga­gée : un court roman au titre énorme publié chez Gal­li­mard sous la plume d’un sieur tren­te­naire qui se réclame seule­ment « écri­vain et scé­na­riste », c’est louche. Sérieux, peut-on vivre aujourd’hui de ce genre de bou­lot, quand bien même on aurait eu la grâce de per­ce­voir la bourse Jeune écri­vain 2003 de la fon­da­tion Hachette ? (c’est écrit p. 6) Et puis com­ment quelqu’un qui n’en est qu’à son 3e roman pourrait-il déjà avoir com­mis une bande des­si­née (c’est écrit à demi-mots p. 2 parce que cha­cun sait que les édi­tions Emmau­nel Proust éditent de la bd) ? Vous vous dites comme moi qu’il y a baleine sous roche ? Eh bien vous avez tout faux.

Parce que David Foen­ki­nos sait écrire (une den­rée rare par ces temps de pro­duc­ti­vite lit­té­raire où la quan­tité rem­place peu à peu la qua­lité, et qui nous ren­voie par la bande au vieux pro­blème aris­to­té­li­cien : à par­tir de com­bien de grains obtient-on un tas de sable ? Mais je m’égare). David Foen­ki­nos sait écrire, disais-je. De fait, il écrit très bien, et le for­mat qu’il adopte ici — je ne sais s’il en est cou­tu­mier vu que je n’ai pas lu Inver­sion de l’idiotie et Entre les oreilles — sied à mer­veille à son pro­pos. L’histoire tient en peu de mots : Hec­tor, mal dans sa peau et réduit depuis belle lurette au rôle de fils idéal qu’il joue pour ses lugubres parents ama­teurs de soupe (et de toile cirée, ça ne s’invente pas), attente à ses jours en fai­sant croire à ses proches qu’il est parti aux States. Ca rate. Après 6 mois de conva­les­cence il revient à la vie, expose au lec­teur le mal qui le ronge : la lubie obses­sion­nelle et mono­ma­niaque de la col­lec­tion, laquelle lui rend l’existence insup­por­table. Mais Hec­tor n’est pas un mau­vais che­val, il aspire à s’en sor­tir, ren­contre la belle et « unique » Bri­gitte, se marie avec elle et là…

Si vous ima­gi­nez que je vais aller plus avant, vous vous leur­rez bien évi­dem­ment. Sachez non­obs­tant que ce qui suit est aussi ter­rible que tor­ride. Que les 75 der­nières pages, si elles n’avaient que cela à faire, pour­raient à elles seules illus­trer la pro­fon­deur de cet adage de Pierre Dac : « chas­sez le rat du tun­nel, il revient au bun­ga­low ». Une chose est cer­taine : Foen­ki­nos a le don de cam­per des per­son­nages et d’installer des ambiances sans chu­ter dans le des­crip­tif pom­pier. Au tra­vers d’un roman empreint d’humour et de déli­ca­tesse, il par­vient à rendre cré­dible l’incroyable, uni­ver­sel le sin­gu­lier (mieux encore : l’idiot, au sens éty­mo­lo­gique). Le poten­tiel éro­tique de ma femme où l’histoire d’un couple happé dans le vortex-pathos de la collection/accumulation poly­fan­tas­ma­tique est un hymne à l’art de for­mer des cli­chés à l’infini et de construire son bon­heur sur des che­mins de tra­verse. Acces­soi­re­ment, un hymne à l’art bri­git­tien de laver les vitres.

Après ce livre ultra-scopique, vous ne ver­rez plus la saleté du même oeil. Je me demande si je ne viens pas d’attraper la foen­ki­nite là…

Lire notre entre­tien avec David Foen­ki­nos.

fre­de­ric grolleau

David Foen­ki­nos, Le poten­tiel éro­tique de ma femme, Gal­li­mard, 2004, 145 p. — 13,50 €.

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