Avec Claude Minière de l’erre au désert, la barque court, se rit des amarres et l’ancre crève le papier. Et ce, encore plus dans ce texte. Plutôt que de mêler la farce à la tragédie du temps, l’auteur préfère « l’histoire et l’au jour dit ». Ce qui ne lui empêche pas les mises en perspectives : « Il y a bien un axe de ma vie, mais c’est un axe d’une géométrie particulière occupée à retrouver les règles d’un plus long trajet, une géométrie impure aux tracés sans cordeau, une science de la flèche traversant mille fois les lieux où j’ai été à un moment, et où je suis, où je serai. » écrit-il.
Son “divertissement” est résolument pascalien puisque l’auteur– à travers ses « notes » compactes — montre l’importance de l’expérience sensible. Elle pétrit la vie plus encore que ne le fait la raison et la connaissance intellectuelle. Le déclencheur, le shifter dévorant de chaque note peuvent partir d’une simple anecdote (un passage au pressing) mais aussi d’images premières : celle de la mère qui clôt le texte (ou le boucle sur un éternel retour) dans cet arc qui peut paraître — et l’auteur le souligne lui-même — « archaïque, régressif même ». Mais l’auteur d’ajouter : « l’homme moderne, qui va de l’avant, n’apparaît-pas de plus en plus comme allant droit dans le mur, et le sachant et le cachant ? ».
Celui qui se revendique comme anti-moderne se présente contre l’inverse d’un Ezra Pound ou d’un Picasso. Il se veut avant tout « chercheur » (mais les deux créateurs cités ne l’étaient-ils pas ?). On dira plutôt qu’il se veut « moraliste » mais moins dans la lignée « officielle » des auteurs du genre que dans celle d’un Pascal (encore lui) ou d’un Proust. Même si Minière tergiverse quelque peu et renâcle à leur ombre portée : « ils sont passés, trop loin, ils sont un peu dans mon sang, dans ma « brouette », mais les chemins de vie sont divers, les temps sont différents ».
L’auteur fait de chaque fragment une idée du poème mais en tant qu’acte, « qui ne remplace pas d’autres actes, ni même qui s’y mêle. Et au bout de ce chemin à l’autre bout du monde, parmi les montagnes émeraude, je suis le premier à avoir descendu Siba et monté Ziho »
jean-paul gavard-perret
Claude Minière, Le Divertissement (notes à l’arrivée), Tarabuste éditeur, 2016, 72 p. — 11,00 €.