L’Ange est un des derniers textes de Valéry auquel renvoient les dessins de Paul Klee. Ils deviennent dans leur ambiguïté le miroir complexe à cette « manière d’ange assis sur le bord d’une fontaine. Il s’y mirait, et se voyait Homme, et en larmes, et il s’étonnait à l’extrême de s’apparaître dans l’onde nue cette proie d’une tristesse infinie ». Mais le poète de préciser : « il y avait une Tristesse en forme d’Homme qui ne se trouvait pas sa cause dans le ciel clair ». L’Ange n’est donc plus seulement une figure éthérée.
Il est un autre Narcisse — figure « totémique » de toute l’œuvre de Valéry. Elle lui permet d’« arriver à la poésie ». Si le terme de Narcisse n’apparaît pas ici, L’Ange en reprend le même topos et prouve dans cette dernière déclinaison qu’ « une œuvre n’est jamais nécessairement finie, car celui qui l’a faite ne s’est jamais accompli, et la puissance et l’agilité qu’il en a tirées, lui confèrent précisément le don de l’améliorer » (in « Cahiers d’un poète »).
L’Ange, comme les Narcisse qui le précède, évoque l’amour et l’éros même si ce presque dernier texte n’est pas un poème « d’amour ». Néanmoins, il symbolise les aspirations de l’auteur. Il ramène à la question du rapport de soi à soi-même, de Narcisse à son reflet et pose aussi la question du temps. Enfin, il décale le mythe dans ce qu’il a de trop précis ou réducteur et met en scène le rapport du poète à lui-même sur un plan plus existentiel et général que personnel. L’ange devient donc la figure du poète amoureux de son art mais aussi « l’image » du poète amoureux.
Permettant la dernière mise en abyme de la figure de Narcisse en offrant l’image de ce que l’auteur nommait le « beau reflet des désordres humains », le miroir « narcissien » s’enrichit ou se complexifie. Toutefois, le reflet est moins angélique que le titre ne le laisse imaginer. Il n’est pas seulement environné par les cieux et sert au poète à parler au-delà du miroir au sein d’un dernier rêve de « poésie pure ». L’Ange devient le modèle du poète et la métaphore de la métaphore Elle s’enrichit d’un éros que la figure classique du modèle ignore. « Chutant » comme Narcisse dans l’eau, cet Ange ultime reste une dernière image du « vers pur », de « l’idée lumineuse » dans une tension à la fois existentielle et poétique qui ne peut s’apaiser et que Valéry a entretenu jusqu’au bout.
jean-paul gavard-perret
Paul Valéry, L’Ange, dessins de Paul Klee, postface de Marijo Roy, Fata Morgana, Fontfroide le Haut, 2016, 40 p.