A l’occasion de la sortie de son troisième roman Malhorne : Anasdahala, Jérôme Camut a échangé quelques mails avec Anabel Delage
Jérôme Camut est un auteur discret et taciturne, pour qui ne le connaît pas. Mais c’est surtout un romancier plein de promesses, qui s’installe doucement dans le paysage littéraire fantastique français.
Après avoir publié un premier ouvrage prometteur au Serpent à plumes, Jérôme Camut a été repéré par les éditions Bragelonne qui ont réimprimé son texte alors que le second tome était en préparation. Et comme un joli conte de Noël, voici que le troisième opus est sorti des presses il y a deux semaines environ… et qu’on nous en promet déjà un quatrième !
Mais qui est donc ce jeune auteur ? Il se livre en exclusivité pour lelittéraire.com et répond à toutes nos questions, sans détours ni tromperies.
Si Malhorne devait rencontrer Jérôme Camut, comment le personnage verrait-il son auteur ?
Jérôme Camut :
Si une telle horreur m’était donnée, peut-être me dirait-il : “eh, quoi de neuf docteur ?“
Et il me laisserait sans voix. J’ai fantasmé ce personnage pendant des années. Je l’ai nourri de ma propre réflexion, de celle des autres, de mon entourage, de mes prédécesseurs. Et j’ai pensé à ceux qui me suivraient en lui donnant la parole. Ainsi qu’à moi, tel que j’aurais pu être si j’avais été magnifiquement intelligent, sage et éclairé.
Alors, un tel ramassis d’élucubrations, d’expériences séculaires, de pensées intelligibles, sinon intelligentes, réunies dans la tête d’un seul homme, je crois que ça aurait de quoi me glacer le sang.
Alors comment me verrait-il ? Il serait peut-être déçu de ne rencontrer qu’un homme, dans sa plus grande simplicité. Une cervelle emplie de doutes, un esprit paniqué à l’idée de disparaître un jour, et probablement définitivement.
Alors, s’il est aussi positif que je l’ai voulu, il me prendrait par l’épaule et me dirait : “Viens par là, Camut. Tout se passera bien. Tu verras. Ce n’est pas un moment si difficile que ça à passer.”
Qu’est-ce qui te fascine dans l’idée de la renaissance de Malhorne et de son évolution ?
Eh bien justement, c’est l’idée de la réincarnation telle qu’elle nous est livrée par les philosophies-religions asiatiques qui me fascine et me dérange en même temps. L’idée de revenir sur cette Terre est séduisante. Mais savoir qu’il faudra tout recommencer à partir de rien ne l’est pas du tout. Pas pour moi, en tout cas.
Recommencer, avec les mêmes possibilités d’erreur, possibilités extrêmement fortes, parce qu’on aura tout oublié.
C’est rageant, non ?
Revenir en se souvenant, ça serait magnifique. Apprendre à chaque passage. Apprendre de ses erreurs. Mais apprendre vraiment de ses erreurs, en ayant l’opportunité de ne plus les commettre, dans cette vie ou dans les suivantes.
Et puis, ne plus mourir vraiment. Quel poids en moins !
Malhorne se balade, tant dans le temps que dans l’espace. Tes descriptions laissent transparaître une culture certaine : quelle part occupent les recherches historiques et géographiques dans ta rédaction ?
Les histoires que j’échafaude, j’en prends la substance dans ce que j’ai dans le crâne. Je ne sais pas si j’ai une grande culture. Une bonne base générale en tout cas. Je ne vais me confronter aux recherches en bibliothèque qu’après avoir posé une large base de l’intrigue. Et ce qui est très excitant, c’est de constater que mes intuitions trouvent un écho dans la réalité. Serais-je un vecteur ? Il doit y avoir un peu de ça. L’intuition, j’aime ça. Il arrive que mes recherches changent le cours de mon histoire, ou la fassent passer par un endroit que je n’avais pas prévu. Et c’est très agréable.
En revanche, lorsque j’attaque l’écriture à proprement parler, je me suis auparavant pas mal documenté. Je veux que ce que je raconte soit exact. Pour moi, c’est important. Il m’est arrivé de traquer une info pendant des jours, et parfois c’est un détail qui ne compte qu’à mes yeux. Mais qu’importe.
L’humanité, l’intuition… Ce sont des concepts dignes d’une dissertation de philo ! Comment réussis-tu à transposer ces thèmes, pour le moins ardus à saisir, dans une intrigue aussi fluide et une écriture finalement très accessible ? Ou plutôt, quelles sont tes recettes d’alchimiste pour obtenir un tel résultat ?
S’il s’agissait d’alchimie, alors je ne serais pas très malin d’en livrer le secret. Tout ce que je vois, ressens, comprends, du passé de l’espèce à laquelle j’appartiens, c’est qu’elle évolue par bonds successifs. Les progrès, dans tous les domaines, apparaissent à des endroits variables, mais il semble qu’il soient interdépendants. Finalement, ce ne sont pas des cultures qui avancent, mais l’humanité dans son ensemble. Vu de près, on dirait une énormité — l’humain ne semble pas s’améliorer — mais observé de loin, nous progressons. Il suffira juste de progresser assez vite pour ne pas périr par notre propre faute.
Maintenant, comment je fais ? Je ne sais pas très bien répondre à cette question. Je ressens les choses, mon environnement. Et je restitue ce que je peux.
Tu fonctionnes énormément au feeling semble-t-il. Mais jusqu’où laisses-tu tes sentiments et ton intuition te guider dans ton écriture ?
Le feeling me guide dans les thèmes que j’aborde, dans les directions que va prendre l’histoire aussi. Mais après m’être laissé rêver, je vérifie, je confronte mon “feeling” à la réalité, historique, scientifique, philosophique. Ce que j’écris doit s’approcher au plus près d’une réalité envisageable. C’est important pour moi.
Pour l’écriture à proprement parler, comment faire autrement que de se laisser guider par son propre ressenti ? Je ne sais pas. Je n’ai pas de technique d’écriture, ou alors je ne m’en rends pas compte. J’écris, c’est tout. Je m’astreins simplement à une discipline de travail. Je suis assez fainéant de nature, rêveur, contemplatif. Je m’impose donc un cadre, sinon, ça n’avancerait pas. Et finalement, c’est efficace, car le contemplatif se transforme alors en travailleur de force. Et plus je m’impose des cadences élevées, plus je suis capable de travailler longtemps. Je suis mon propre négrier en somme.
Nous avons parlé de l’univers, du personnage principal, Malhorne. Mais pas encore des personnages secondaires… Alors, d’où viennent-ils ? Est-ce que tu t’inspires de gens qui t’entourent, de personnes que tu connais, que tu as croisées ? En effet, j’ai été saisie par le relief que tu réussis à leur donner, à la densité qui les sous-tend. Aurais-tu un secret de fabrication particulier à nous révéler ?
Les personnages secondaires !… Important, vu le nombre. En général, je m’inspire de gens que je connais, ou de personnalités. Ça m’aide pour leur donner un ton. Le colonel Spencer me vient par exemple d’un officier que j’ai croisé pendant mon service militaire. Une sorte de brute épaisse, mais très efficace. Dans le tome 1, il est assez proche de cet homme. Et puis, les personnages restent des personnages, ils évoluent indépendamment de leurs pendants en chair et en os. J’ai commencé à bien aimer ce Spencer. Et puis, je ne crois pas aux personnalités monolithiques. On ne peut pas être tout blanc, ou tout noir. Spencer est ainsi devenu un juste. Je le regrette un peu, à présent que je l’ai tué, mais allez savoir si je ne vais pas trouver un moyen de le faire revenir, sous quelque forme que ce soit, dans le tome 4.
D’autres personnages sont de pures inventions, sans doute constitués à partir de gens croisés ici ou là, des hybrides en quelque sorte. Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme, comme disait l’autre.
Mais quelle que soit l’origine des personnages qui habitent Malhorne, ils deviennent tôt ou tard des individus originaux à part entière. Au moins dans ma tête. Il y en a même certains auxquels je pense, déraisonnablement, comme à des amis avec lesquels j’ai des souvenirs. Je pense notamment au père Zach du tome 1.
Pourquoi avoir choisi ce moment précis pour faire revenir les souvenirs de ton héros ? J’entends par là que d’autres moments sont marquants dans la vie en général et que ça aurait pu être un truc plus fleur-bleue (l’éclosion des premiers sentiments amoureux par exemple)… Et d’ailleurs, que se passera-t-il lorsque Malhorne arrêtera de vivre ? Il se réincarnera en moine ?
Pourquoi Malhorne revient-il à la mémoire au moment de son premier rapport sexuel ?
Pour deux raisons simples :
On change de monde aussitôt notre premier rapport sexuel passé. D’enfant, de préadolescent, d’adolescent, on passe dans le monde des adultes. On perd à tout jamais cette candeur, cette pureté originelle. Et note que je ne dis pas que la sexualité active rend impur. Mais on quitte le monde des fantasmes, des rêves ou des rêveries. On entre dans le tangible, parfois dans le cruel. Et ça m’a paru un bon moment pour Malhorne. Ça permettait aussi de ne pas m’embarrasser de toutes ses enfances. Seuls quelques moments pouvaient m’intéresser.
La deuxième raison, c’est le nom donné, du temps des Précieux, à l’orgasme. “La petite mort”, l’appelaient-ils. Évocateur, non ? La petite mort ramène donc les souvenirs de Malhorne d’avant sa précédente mort.
La boucle se bouclait bien ainsi.
Voilà pourquoi.
Et puis, pour reprendre l’intitulé de la question, je ne trouve pas que la vie soit fleur-bleue. Je ne suis personnellement pas très fleur-bleue. Alors, je ne vois pas très bien comment ce que j’écris pourrait l’être.
Merci !
anabel delage
Bibliographie de Jérôme Camut
Malhorne : Anasdahala, Bragelonne, 2005
Malhorne : Les eaux d’Aratta, Bragelonne, 2004
Malhorne : tome 1, Bragelonne, 2004
À visiter : le site des éditions Bragelonne.
Mails échangés entre mai et novembre 2005. |
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