Les débuts d’Erlendur à la Criminelle
Le prologue met en scène la chute d’un corps dans un immense hangar de l’armée américaine sur l’aéroport de Keflavik, en Islande. C’est parce qu’elle souffre d’un psoriasis tenace qu’une jeune femme prend des bains de boue dans le lagon artificiel créé par l’écoulement des eaux d’une centrale géothermique. C’est après un de ces bains qu’elle découvre le cadavre immergé d’un homme. Marion Briem et Erlendur Sveinsson, les deux limiers de la Criminelle, sont chargés de l’enquête. Le légiste, compte-tenu de l’état du corps, conclut rapidement à une mort consécutive à une chute de grande hauteur sur une surface très dure. Cependant, une contusion, à l’arrière du crâne, amène à penser que l’homme était mort avant la chute.
Les enquêteurs piétinent jusqu’à ce qu’une jeune femme se manifeste parce que son frère ne répond pas au téléphone, n’est plus chez lui, ni à son travail de technicien de maintenance aéronautique à Keflavik. Lorsque Marion et Erlendur lui présentent, avec précaution, le cadavre à la morgue, celle-ci le reconnaît à ses ongles rongés jusqu’au sang. Les autorités américaines ne coopèrent pas, restant volontairement à l’écart de l’enquête quand elles ne font pas tout ce qui est en leur pouvoir pour gêner le travail des policiers. Pourquoi, alors, cet ingénieur employé par une société de sous-traitance a-t-il été assassiné ?
Parallèlement, Erlendur est toujours mobilisé, fasciné par la disparition de Dagbjört, cette jeune élève d’une école ménagère, volatilisée sur le chemin de l’établissement, il y a vingt-cinq ans. Il se rend régulièrement sur les lieux, refait le même trajet que la jeune fille espérant trouver une piste.
Le romancier propose une nouvelle enquête de son héros favori alors que celui-ci a quitté, depuis deux ans, les rangs de la police de proximité pour rejoindre la Criminelle sous les ordres du commissaire Marion Briem. Après Les Nuits de Reykjavik, c’est la seconde fois que l’auteur revient sur la jeunesse de son héros, sur ses débuts dans la carrière et dans ses déboires familiaux. Ces derniers l’amèneront au caractère sombre, désabusé, désillusionné que les premiers romans ont permis de découvrir.
À travers ce roman, dont l’action se déroule à la fin des années soixante, l’écrivain raconte l’histoire récente de son pays, quand celui-ci avait une forte présence des forces américaines sur son sol. Cette présence était ressentie comme une occupation par nombre des Islandais. Telle que l’auteur la décrit, avec, par exemple, la morgue des officiers supérieurs vis-à-vis des autorités islandaises, cela ressemble à des troupes d’occupation faisant fi des autorités locales. Cependant, cette présence était aussi une source d’ambiguïté car ceux-ci fournissaient du travail à une partie de la population locale, dans un pays où l’économie était dépendante de l’aide des USA, des fonds du Plan Marshall.
Arnaldur Indridason construit, avec les enquêtes de son héros emblématique, une véritable saga qui permet de découvrir, outre un personnage, ô combien attachant !, une société islandaise mal connue, inféodée au Danemark et à sa culture jusqu’en décembre 1918, date où le pays est reconnu comme un état souverain. Mais, c’est seulement en 1944 que la nation islandaise devient une république.
Avec Le Lagon noir, le romancier ajoute une pièce de qualité, tant romanesque que sociologique, grâce à un polar ou l’intrigue est menée avec maestria.
serge perraud
Arnaldur Indridason, Le Lagon noir (Kamp Knox), traduit de l’islandais par Éric Boury, Éditions Métailié, coll. “Bibliothèque nordique – Noir”, mars 2016, 320 p. – 20, 00 €.