Rétrécissements de l’extension annoncée
Quoique souvent frileux et lyrique, dans son dernier recueil d’essais, Jean-Michel Maulpoix tente d’ouvrir le genre poétique à ce qu’il ne serait pas. Voire. Car ceux qui sont appelés ici à la rescousse restent des poètes à part entière et du plus haut plan. Guillaume Apollinaire, Rainer Maria Rilke, Maurice Blanchot, Christian Dotremont, même lorsqu’ils ne « font » pas dans le genre, restent totalement dedans. Peut-on trouver des écritures plus « poétiques » (au sens premier de terme) que celle de Blanchot par exemple ? Et ce, contrairement à l’auteur de ce livre. Car même dans ses essais l’écriture de l’auteur du Pas au-delà demeure créatrice.
Il est vrai que Maulpoix a tendance à préférer une poésie où l’écriture est au service de la pensée qu’à celle où l’écriture s’invente en avançant. Il oublie qu’avant même la période postmoderne le « vrai » poète a tissé des liens critiques avec le genre versifié et ses figures. Mais l’analyste reste enclin à une vision lyrique du genre. Pour lui, le poète demeure celui qui brise la ligne de versification plutôt que celui qui s’empare du langage pour venir à bout d’une forme de chant classique propre aux caciques du verbe officiel dont Maulpoix reste lui-même un chantre.
Certes l’auteur connaît son sujet : il aime les poète qui, tels Baudelaire, Rimbaud, Mallarmé ont « une araignée » dans la tête. Mais plus qu’à elle-même il reste sensible à l’effet de tissage de toile. Exit donc ce qui entraîne la perte d’identité et la défiguration telles qu’elles se déploient dans toute une poésie qui n’a que faire de la versification. Certains cependant font exception à la règle du critique : il est sensible, entre autres exemples, à la « voix » d’un Novarina, aux vides de Du Bouchet. Mais Maulpoix reste surtout à l’écoute de ceux qui limitent la poésie à une « maison de l’être » (Bachelard) meublée de certaines certitudes quant à l’ « inspiration » du mobilier.
L’auteur veut bien admettre quelques grains de sable dans le système de la représentation poétique mais son intérêt se porte vers ceux qui s’appuient sur une idéalité de l’être et sur une vision métaphysique de la poésie même lorsqu’elle fait de son sujet le réel comme chez un Ponge par exemple. L’auteur reste donc sensible au « poète tardif » qui se réclame d’une volonté donnée à la poésie : la puissance de faire sens. Mais un sens fléché dont l’objectif est — au-delà des interrogations qu’il induit — de reconstituer une identité à travers le tissage de merveilleuses dentelles qui ressemblent parfois des ficelles.
jean-paul gavard-perret
Jean-Michel Maulpoix, La Poésie a mauvais genre, éditions Corti, Paris 2016, 224 p. - 21,00 €.
à propos de maulpoix, voir aussi :
http://www.denishamel.fr/lettre_maulpoix.html