Les maîtresses femmes de Tatiana Samoïlova demeurent intouchables : l’artiste les scénarise dans des dessins espiègles et aux postures équivoques. Mais elles ne sont pas faites pour caresser le voyeur dans le sens du poil. Le dessin pousse où la photographie ne va pas. Il peut la caricature comme il offre force de détails qui font du regardeur un pilleur de sarcophages. Il va droit aux bijoux qui le ravissent. Les poupées russes mêlent les temps et les galaxies. Ce qui ne simplifie pas la problème et ne fait que tarauder un peu plus l’ivresse que fomentent ces princesses. Chaque dessin les réanime afin de tenir la rencontre pour vraie. Il faut glisser dans de tels rêves.
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
La pensée de l’odeur du café que je vais prendre ; et ce moment délicieux du début de la journée avec se parfum et ce goût un petit peu amer ; et ce silence qui m’entoure ; et cette forêt que je peux voir de la la fenêtre. Et finalement, les pensées à toutes ces heures de travail font que je me lève de bonne humeur.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Petite, je rêvais de dessiner les panneaux de signalisation du bord de la route. Alors je pense que mes rêves d’enfant sont en harmonie avec la réalité.
A quoi avez-vous renoncé ?
A peu de choses, peut-être aux illusions qui m’empêchent d’être bien.
D’où venez-vous ?
De Saint-Pétersbourg, qui s’appelait Leningrad à ma naissance, la ville la plus magnifique et mystérieuse pour moi, la ville très belle, dure et éphémère. Avec sa beauté à couper le souffle et malsaine à la fois. C’est une ville réelle et une ville fantôme en même temps. Et je viens aussi d’un empire qui n’existe plus mais qui a laissé beaucoup de traces en moi et les gens de ma génération.
Qu’avez-vous reçu en dot ?
En dot de mes parents, j’ai reçu la capacité à tenir le coup.
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
Se balader dans la nature. Rencontrer les gens avec qui je me sens proche. Lire un livre, écouter de la musique, ou simplement se plonger dans un bain et me diluer en pensant à tout et rien en même temps. Voilà, tous ces moments de bonheur de l’existence.
Qu’est-ce qui vous distingue des autres artistes ?
Il m’est difficile de le dire. Nous sommes tous uniques, artistes ou non. Chacun est une galaxie à deux jambes.
Quelle est la première image qui vous interpella ?
Peut-être le profil de ma maman que mon père avait dessiné sur le mur de notre appartement quand j’avais quatre ou cinq ans.
Et votre première lecture ?
Les contes russes, les contes d’Andersen, Le Petit Prince de Saint-Exupéry et bien-sûr, comme beaucoup d’enfants russes, Les Trois Mousquetaires de Dumas.
Pourquoi votre attirance vers l’érotisme (entre autres) ?
Je ne l’ai pas remarqué.
Quelles musiques écoutez-vous ?
J’apprécie de plus en plus le silence surtout quand je travaille. Sinon, j’aime énormément la musique classique pour sa beauté esthétique et pour son effet thérapeutique qu’elle me fait. J’aime aussi le jazz, la musique des bardes russes, la musique juive, gitane, orientale, la musique de flamenco et beaucoup d’autres. Mes goûts sont assez éclectiques.
Quel est le livre que vous aimez relire ?
Ils sont très nombreux. Il me vient d’abord en tête Le Maître et Marguerite de Mikhaïl Boulgakov. Il n’y a pas longtemps, j’ai relu Anna Karenina de Tolstoï, que j’ai lu la première fois quand j’avais 13 ans et j’ai eu l’impression que ce sont deux romans complètement différents que j’ai lus.
Quel film vous fait pleurer ?
Je suis assez sentimentale, les peines des autres me touchent beaucoup. Même si ce sont des souffrances interprétées par des comédiens médiocres dans un film banal, je pleure malgré moi.
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Ca dépend des jours. Parfois une femme heureuse, parfois fatiguée et plus vieille que moi.
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
A personne je pense. En même temps, je n’aime pas écrire en général, en français surtout.
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Ils sont nombreux. J’ai envie de voir les mythes partout. Bien sûr Saint-Pétersbourg, je ne suis pas objective mais c’est comme avec notre propre enfant, il nous semble toujours le plus beau. Paris a toujours été et reste une ville mythique pour moi. Je ne pouvais jamais imaginer qu’un jour je pourrais vivre dans cette ville, toucher ses murs et respirer son air. Rome, Florence aussi. Comme lieu, je dirai le Tibet mais c’est un tout autre genre de mythe.
Quels sont les artistes et écrivains dont vous vous sentez le plus proche ?
Il y a de nombreux artistes dont j’admire le travail et cela varie selon les périodes de ma vie.
A l’adolescence, j’étais attirée par les artistes de la Renaissance, les Impressionnistes, Rembrandt. Ensuite, il y a eu la période de Dürer, Ivan Bilibine et Audrey Beardsley et en même temps Mikhaïl Vroubel, les Delauney, Paul Klee, Max Ernst, Vlaminck et maintenant j’aime regarder et reregarder les œuvres de Bosch, Brueghel l’Ancien, Pavel Filonov. Parmi les artistes contemporains, j’apprécie beaucoup le travail de Davor Vrankić. Les écrivains : Mikhaïl Boulganov, Romain Gary, Vladimir Nabokov, Boris Pasternak, Varlam Chalamov, Kafka, Dostoïevski.
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
L’amour de mes proches. Comme à chaque fois.
Que défendez-vous ?
La Vie. La liberté de choisir son existence. Le respect. Mais je ne suis pas une grande militante.
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas.“
La forme de la phrase est séduisante mais l’idée est désespérément triste, même si ça peut être vrai. Heureusement, ce n’est pas toujours le cas, pas pour moi en tout cas.
Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ?“
Oui. La réponse est oui, souvent sans faire attention aux questions ou par désir de ne pas blesser ou c’est un « oui » pour qu’on nous laisse tranquille… La vie quotidienne est remplie de petits « oui », parfois si petits que c’est presque « non ». Mais je pense que « oui » en général vaut plus que « non » même si ça entraîne des conséquences.
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
A votre choix.
Entretien et présentation réalisés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 29 février 2016.