Jeanne Faivre d’Arcier, Les Passagers du Roi de Rome

Moins baveux, s’il vous plaît

La qua­trième de cou­ver­ture des Pas­sa­gers du Roi de Rome le pré­sente en termes de « roman noir et d’aventures » (sic), autre­ment dit, comme une lec­ture à sus­pense riche en action phy­sique. Or, en l’ouvrant, on tombe sur l’histoire d’un bateau racon­tée par lui-même, en guise d’introduction, sui­vie par plu­sieurs dizaines de pages où nombre de per­son­nages entrent en scène pour tar­der à y faire grand-chose d’autre que de conver­ser.
On sait que Dumas ren­dit un de ses héros muet pour conver­tir son silence en or, ou du moins en espèces, étant payé à la ligne. On ignore pour­quoi l’auteur des Pas­sa­gers du Roi de Rome mul­ti­plie les dia­logues, mais en décou­vrant que Mat­thieu est « fati­gué [du] ver­biage » de Clara (p. 62), pour­tant moins bavarde que lui-même, on com­pa­tit sin­cè­re­ment, et l’on se prend à espé­rer que l’action digne de ce nom, qui se fait attendre depuis le début du livre, va com­men­cer sous peu. Hélas, elle s’ébauche seule­ment, au bout de soixante-dix pages, et d’une manière aussi mal­adroite que peu cré­dible : des jumeaux mas­qués, dont l’un est pos­tier, et l’autre, gigolo, enlèvent Yan­nick, un délin­quant minable, pour l’intimider, afin qu’il renonce à ache­ter une épave — ce à quoi il tient plus qu’à sa vie, selon une logique que le lec­teur cherche en vain à s’éclaircir.
De fait, Yan­nick ferait n’importe quoi pour acqué­rir pré­ci­sé­ment “le Roi de Rome”, envers et contre tout bon sens, alors qu’il aurait pu réa­li­ser les pro­jets qui lui tiennent à cœur en ache­tant à meilleur prix et sans pro­blème un autre bateau. Son inex­pli­cable obs­ti­na­tion consti­tue, fina­le­ment, la seule énigme propre à assu­rer un mini­mum de sus­pense au récit — on doute que cela relève d’un choix conscient de l’auteur, mais le reste des pro­cé­dés cen­sés nous intri­guer étant cou­sus de fil blanc, on s’accroche, faute de mieux, au mys­tère impé­né­trable du choix de Yan­nick, pour tenir jusqu’au bout du roman.

Nous n’aurons pas de scru­pule à révé­ler sans plus tar­der que ce choix reste défi­ni­ti­ve­ment injus­ti­fié ; hélas, il n’est pas le seul. L’action cri­mi­nelle qui s’intensifie vers le milieu du roman baigne dans un flou que le dénoue­ment nous porte à attri­buer au besoin de faire illu­sion en l’absence d’idées ingé­nieuses. Rien ne vient don­ner de l’intérêt au nombre de per­son­nages mis en place pour si peu d’intrigue, à leurs échanges majo­ri­tai­re­ment super­flus et qui ne servent même pas à les indi­vi­dua­li­ser, déployant tous le même voca­bu­laire gros­sier et le même manque d’esprit, ni aux des­crip­tions et autres say­nètes qui pri­vi­lé­gient tan­tôt le pénible, dans une sur­en­chère offrant des for­mules comme il se mor­dit l’intérieur des gen­cives (sic, p. 204), tan­tôt le repous­sant : le chien se pen­cha vers Mat­thieu, lui fourra une langue aussi large qu’une tranche de rum­steack dans les narines, en aspira le contenu comme s’il gobait une huître pal­pi­tante de fraî­cheur, lui macula les cils et les pau­pières de bave, s’attaqua aux oreilles, les débar­rassa de leurs bou­chons de céru­men, le tout sur fond de gron­de­ments éna­mou­rés et de halè­te­ments pes­ti­len­tiels (p. 58).
En fait, dans ce roman, on lèche tant que c’en devient un leit­mo­tiv : outre le chien qu’on a vu à l’œuvre, il y a les dames, qui s’exercent notam­ment sur les mes­sieurs, et ceux-ci, sur leurs propres plaies… Pour­quoi tant de bave, outre le bavas­sage ? Certes, tous les goûts sont dans la nature, mais le nôtre nous porte à prier l’auteur et son édi­teur : la pro­chaine fois, un peu moins, s’il vous plaît ! la coupe est pleine !

agathe de lastyns

   
 

Jeanne Faivre d’Arcier, Les Pas­sa­gers du Roi de Rome, édi­tions du Rocher, 2009, 273 p. — 17,00 euros ISBN 978 2 268 06768

 
     
 

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