Patrick Sirot, Idées fixes

Histoires de monstres

En édi­tion limi­tée enri­chie d’une œuvre ori­gi­nale de chaque créa­teur, la nou­velle col­lec­tion publiée « Chez Hig­gins » per­met de faire décou­vrir les des­sous des œuvres d’artistes qui ne se laissent pas détrous­ser faci­le­ment. Dans ce but, Eric Hig­gins et Marie Bol­ton mettent à nu les des­sins de Patrick Sirot. L’être y devient un monstre presque inver­té­bré dont les sou­pentes sont des garde-manger étranges. De tels per­son­nages feignent de se dépla­cer mais ne sont que des larves plus ou moins ram­pantes.
Les des­si­ner revient donc à décryp­ter notre infir­mité et celle du monde. Il suf­fit que l’artiste soit lucide et qu’il ose les méta­mor­phoses propres à illus­trer ce qui nous affecte et que nous croyons gri­gno­ter. Nous res­tons donc moins élite qu’hélix parmi les escar­gots. Nous sommes des petits-gris et des vigne­rons ou autres bour­gognes qui nous lient au peu que nous sommes.

Il convient donc d’entrer dans les coli­ma­çons de Patrick Sirot pour déba­rou­ler dans ce que nous igno­rons. Les des­sins de l’artiste appâtent notre incons­cient, le concentrent pour per­cer de leurs dents et de leurs griffes notre peau. A tra­vers lui, Sirot rap­pelle qu’on n’est rien, à per­sonne. Per­sonne n’est rien sinon une forme rebon­die de néant. Notre paquet de viande et de nerfs n’est qu’une masse vis­queuse. Et il n’est pas jusqu’à notre sexua­lité dans notre auto-suffisance pour res­sem­bler sou­vent à celle de l’hermaphrodite. L’artiste s’en amuse. Mais il fait plus : s’inscrit aussi la cri­tique presque pro­phé­tique du monde et de ses cer­ti­tudes.
Pour nous en défendre, cer­tains ont inventé le reli­gieux mais Patrick Sirot s’en moque. Comme il se moque de l’anthropomorphisme en le tour­nant en déri­sion puisqu’il reste notre moindre, notre illu­sion. A sa place, nous voici mol­lusques à ven­touses, mol­lesses à état pâteux. Cela per­met de sug­gé­rer ce qui fait notre débauche pai­sible, notre pusil­la­ni­mité voire notre absence de vertu.

Par ces des­sins, l’artiste prouve que ce que nous pré­ten­dons être n’est qu’une erreur conforme. La des­si­ner revient à s’arracher à l’erreur mys­tique. Car ce qui habite l’être n’a rien à voir avec dieu sauf à pen­ser que l’animal détient lui-même une spi­ri­tua­lité vagis­sante, et que mieux que nous la bête connaît le mal et le bien — ce qui n’est pas for­cé­ment faux.
Déga­geant l’être de son état pré­ten­tieux de Nar­cisse mélan­co­lique, le monde de sa vio­lence, Sirot est là pour lui redon­ner sa plus juste image, dans ses devoirs de drô­le­rie et de mons­truo­sité. En père OK, il peut nous appe­ler « Jac­quot » : oiseau sans plumes, au gras de gnou et à la bave de gas­té­ro­pode. Ne reste qu’à lui oppo­ser, comme le fit un de ses per­son­nages à Beckett, : « Tu me laisse finir comme ça ? ».

jean-paul gavard-perret

Patrick Sirot, Idées fixes, par “Eric Hig­gins”, Saint-Jean de Mont, 2016.

3 Comments

Filed under Arts croisés / L'Oeil du litteraire.com

3 Responses to Patrick Sirot, Idées fixes

  1. Sirot

    Merci, votre texte se déguste, il se déguste comme… Vous savez quand la langue va jusqu’au fond de la coquille espé­rant encore un peu de beurre d’escargot, quand elle se lèche les babines de plai­sir. Vous savez quand la langue se joue des images avec des mots,. Merci pour cette dégus­ta­tion inat­ten­due! Patrick Sirot

  2. Villeneuve

    Patrick Sirot recon­nait l’élégance des mots de son cri­tique ! Certes dégus­ter avec la langue . Mais aussi avec la géo­mé­trie . Lem­nis­cate de Ber­noulli qui fut l’origine , à défaut du monde , du sym­bole de l’infini . L’auteur le démontre . JPGP le dit . Le lec­teur en jouit .

  3. Sirot

    Un pt’it texte sonore en écho à votre texte. Bien à vous ami­tiés Patrick.

    A quand?

    On pour­rait com­men­cer comme ça,
    Comme ça,
    On pour­rait com­men­cer comme ça,
    On pour­rait com­men­cer par-là, par-là, là, là,
    Là par-là, par-là, par la, par l’animal,
    On pour­rait com­men­cer par l’animal, par l’animal,
    On pour­rait com­men­cer par la ni mal ni bien,
    On pour­rait com­men­cer par la ni bien ni mal,
    Moitié-moitié,
    On pour­rait com­men­cer par mi mal, mi bien,
    Moitié-moitié,
    On pour­rait com­men­cer par l’ami mal et l’ami bien,
    On pour­rait com­men­cer par l’animal nami­bien.
    On pour­rait com­men­cer
    Par le mâle élé­phant de Nami­bie,
    Et sa nami­bienne femelle,
    On pour­rait com­men­cer par l’éléphante
    Qui l’accompagne, par les fentes de Nama,
    On pour­rait com­men­cer par les béances afri­caines,
    Les failles, les fos­sés, les trous,
    On pour­rait com­men­cer par les trous,
    Par les puits sans fin sec sans eau,
    On pour­rait com­men­cer par les béantes cre­vasses,
    On pour­rait com­men­cer par les béantes cra­que­lures
    Par leurs fentes béantes,
    On pour­rait com­men­cer par les fentes sèches,
    Les fentes et l’agonie sèche
    De l’éléphante de Nami­bie anéan­tie,
    On pour­rait com­men­cer par la longue ago­nie
    De l’antilope de Nami­bie.
    On pour­rait com­men­cer par la longue ago­nie,
    On pour­rait com­men­cer par la longue ago­nie sèche,
    On pour­rait com­men­cer
    Par la longue ago­nie sèche des élé­phants,
    On pour­rait com­men­cer
    Par la longue ago­nie sèche
    Des enfants des élé­phants.
    On pour­rait com­men­cer par l’éléphanteau,
    On pour­rait com­men­cer
    Par les enfants des anti­lopes à genoux
    Dans la pous­sière de sable,
    On pour­rait com­men­cer par les fan­tômes ensa­blés des­sous la dune.
    On pour­rait com­men­cer à genou
    Comme les gnous ensa­blés,
    On pour­rait com­men­cer ensa­blés
    Comme nos gourdes espé­rances
    Et les poux des gueux et les je et les nous,
    Pas vrai Jac­quot, on pour­rait com­men­cer
    Par le je et le nous. Hein, Jac­quot,
    Nous les gueux à genou, à quand Jac­quot,
    À quand, à quand ?
    La fin de l’animal ami de Nami­bie?
    A quand Jac­quot la fin de l’homme des hommes ?
    Jacques à quand, toi qui sait tout,
    À quand la fin du Nami­bien Nama
    « L’homme des hommes » ?
    Des Nama­quois, des Nama­quas du fleuve orange, le Khoï­khoï du fleuve orange, le Khoï­khoï qui cause Khoï­san, qui cause consonne,
    Qui cause clics, qui cause claques,
    Qui cause pour qu’ça sonne et ça sonne,
    Qui cause consonne pour qu’ça consonne et ça consonne
    Qui cause klaxonne pour qu’ça klaxonne et ça klaxonne,
    Le glas des gnous,
    Le glas des gnous Nama
    A quand la fin, jac­quot toi qui sait tout, à quand la fin
    Des Namans mau­dits, des mots dits Namaqa,
    des mots dits Naoi­quoi?
    A quand Jac­quot toi qui sait tout,
    à quand que ne caquè­tera plus :
    Les clucs, les clocs, les clecs, les clacs, les clics,
    à quand Jac­quot toi qui sait tout,
    À quand que le son du Koi­san ne son­nera plus.
    Quand la langue qui klaxonne se sera tu Jac­quot, Jac­quot,
    Jac­quot toi qui sait, Jac­quot est-ce que tous les O de nos Os lim­pides tom­be­ront des nuages?

    P.Sirot

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