Catherine Quilliet, Le problème à N corps

La Modi­fi­ca­tion

Adepte des inté­rieurs, des adul­tères, des jalou­sies, des solip­sismes céré­braux, Cathe­rine Quilliet monte l’existence comme un Rubik’s cube qu’elle vou­drait mettre en ordre. Après tout, l’aspect “roman poli­cier” de sa fic­tion est fait pour ça. Et ce, même si ce thril­ler prend des aspects par­ti­cu­liers : il n’existe ni mort (des vic­times, oui), ni fin limier (enfin presque) et l’arme de mort est un roman de Michel Butor… On ne lui avait encore jamais offert cela : le connais­sant, il doit en être ravi.  
Dans ce Rubik’s Cube, Cathe­rine Quilliet n’hésite pas mul­ti­plier les mani­pu­la­tions pour en inter­ver­tir les car­rés comme la tri­an­gu­la­tion amou­reuse. Peu à peu, les faces d’un tel puzzle se construisent et ça fonc­tionne bien. La Modi­fi­ca­tion de Butor n’est jamais loin. Le roman en devient une nou­velle ver­sion à ceci près que le voyage n’est plus entre Paris et Rome mais Paris et Gre­noble (où vit la roman­cière). Son héros — jusque là com­blé par son tra­vail et sa vie amou­reuse auprès d’une femme par­faite — a retrouvé son jour­nal intime de passé d’étudiant. S’y narre sa pre­mière grande his­toire d’amour. Pro­blème : il ne se sou­vient de rien….

Armé de sa mémoire morte-vivante,  du TGV, de ses col­lègues cher­cheurs en sciences du signal et de l’information, de ses connais­sances en lin­guis­tique infor­ma­tique, le limier com­mence une traque de son oubli. Le roman est malin, jouis­sif avec ses nids de poule, ses fis­sures, ses séche­resse et ses humi­di­tés, bref le jus et la sur­face d’un monde où la vie du rail pour­rait faire que la vie soit moins “duraillle”. Voire… Se fomente une fresque impré­vue qui jusque dans son règle­ment (de comptes ?) fait de l’auteure une Woody Allen à la fran­çaise. Comme lui, elle mêle divers ingré­dients a priori dis­pa­rates mais qui se marient parfaitement.

Entre drame et comé­die, le Roi et ses Reines sont cro­qués sans intel­lec­tua­lisme com­men­ta­teur et bavard. L’auteur (intel­li­gente) sait en faire — du moins appa­rem­ment — l’économie pour lais­ser res­pi­rer sa fic­tion. Elle sait renon­cer — juste quand il le faut — à l’explicite. Car si, dans toute his­toire, il y a une perte que vient com­bler l’écriture ; cette der­nière ne doit pas l’écraser sous son poids. Pas besoin de sou­li­gner ce qu’il convient de retrou­ver, reprendre, régler, conso­ler, cas­ser ou répa­rer. La farce (enten­dons le mixage) ne se noie jamais dans un brouet “sau­ceux”.
Le tra­vail est admi­rable en sa mise en lumière (noire). Celle-ci laisse ouverte la ques­tion : tout secret mérite-t-il d’être éclairé ?

jean-paul gavard-perret

Cathe­rine Quilliet, Le pro­blème à N corps, Edi­tions Paul & Mike, 2015.

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