Entretien avec Serge Safran (editions Zulma)

Depuis 1991, année de sor­tie du pre­mier livre por­tant le label Zulma, cette petite mai­son d’édition a par­couru un grand chemin

Tandis qu’il ensei­gnait les lettres, Serge Safran publia quelques ouvrages. Puis il s’occupa d’une revue, tra­vailla beau­coup pour Le Cas­tor astral — autant dire qu’il aborda le livre par toutes ses facettes… si l’on excepte la vente directe puisqu’il n’a jamais été libraire. Il est main­te­nant édi­teur à plein temps, à la tête des édi­tions Zulma, mai­son qu’il a co-fondée avec Laure Leroy il y a treize ans.
Zulma… Der­rière ce pré­nom fémi­nin au doux par­fum de désué­tude se tient une “petite struc­ture” édi­to­riale qui n’a de désuet que cet amour véri­table du livre et de la lit­té­ra­ture que l’on ne trouve plus que rare­ment — et au nom duquel on n’hésitera pas à tra­vailler à par­tir d’un authen­tique manus­crit pour peu que le texte en vaille la peine…

Zulma est née en 1991…
Serge Safran :
En 1990 offi­ciel­le­ment, mais le pre­mier livre est sorti en 1991, en effet.

 

Donc vous avez treize ans… est-ce que ce treize est une échéance impor­tante ?
Non, le nombre d’années n’a pas d’importance en soi bien que l’on parle sou­vent de “paliers déci­sifs” en ces termes-là (les 10 ans, les 15 ans d’une mai­son… etc.) Ce qui est per­ti­nent, c’est le moment où l’on atteint un équi­libre finan­cier, celui où l’on dépasse cet équi­libre en com­men­çant à faire des béné­fices et enfin celui où l’on devient auto­nome en réin­ves­tis­sant ces béné­fices dans de nou­veaux emplois de façon à agran­dir une struc­ture. En ce qui me concerne, l’échéance déci­sive est inter­ve­nue quand j’ai renoncé à l’enseignement — pro­fes­sion qui assu­rait mes reve­nus — pour me consa­crer entiè­re­ment au métier d’éditeur.

 

Zulma est née dans le Gers. Que reste-t-il de la mai­son, là-bas ?
Il n’y a que le siège social. En fait, la “nais­sance” de Zulma dans ce dépar­te­ment relève un peu du hasard puisque ni Laure Leroy ni moi ne sommes ori­gi­naires de cette région… Mais l’un des cofon­da­teurs avait des entre­prises là-bas et l’on a trouvé que c’était pra­tique d’avoir le siège social au même endroit. Nous étions donc phy­si­que­ment ins­tal­lés dans un petit vil­lage, d’où nous avons démé­nagé pour aller à Tou­louse — où nous avions les incon­vé­nients de la grande ville sans avoir les avan­tages d’une capi­tale — que nous avons fini par quit­ter pour venir à Paris. Comme nous n’avions pas voca­tion à être un édi­teur régio­nal, nous ne voyions aucun avan­tage à être un édi­teur géné­ra­liste “en région”. Et puis force est de conve­nir qu’en matière de vie lit­té­raire, les évé­ne­ments majeurs se passent à Paris…

 

Quand vous avez com­mencé, vous dis­po­siez ddéjà d’un cer­tain nombre de livres prêts pour la publi­ca­tion — un cata­logue en quelque sorte — ou bien votre pro­duc­tion s’est-elle faite au coup par coup ?
Nous avons démarré avec un ensemble de textes qui se répar­tis­saient dans trois col­lec­tions dif­fé­rentes — éro­tisme, récits de voyage et lit­té­ra­ture géné­rale (auteurs fran­çais et étran­gers confon­dus). Nous savions par­fai­te­ment ce que nous vou­lions, et nous avons déve­loppé d’abord ces trois secteurs-là. Puis, peu à peu, nous avons créé de nou­velles col­lec­tions mais avec pru­dence : nous sommes une petite struc­ture qui doit d’abord affir­mer son iden­tité, habi­tuer les gens à sa pré­sence à tra­vers quelques publi­ca­tions bien défi­nies. On ne s’étonne guère de trou­ver une mul­ti­tude de col­lec­tions dif­fé­rentes chez un gros édi­teur, mais si une petite mai­son affiche un cata­logue appa­rem­ment dis­pa­rate, on ne com­prend plus ses inten­tions ni son posi­tion­ne­ment. D’où la néces­sité d’être vigi­lant, et sur­tout de soi­gner la com­mu­ni­ca­tion dès qu’on lance quelque chose de nou­veau. Il est bien sûr pos­sible de jouer la carte de la spé­cia­li­sa­tion et de se can­ton­ner à un seul sec­teur très pré­cis, mais en ce qui nous concerne, nous recher­chons plu­tôt la diver­sité, nous sommes ouverts à tout ce qui se passe et nos options évo­luent au fil des évé­ne­ments. Et puis nos inten­tions doivent être modu­lées en tenant compte de ce que font les autres édi­teurs… par exemple, nous vou­lions dès le départ publier de la lit­té­ra­ture fran­çaise contem­po­raine. Mais il y a une telle concur­rence dans ce domaine que nous avons dû nous frei­ner ; et en lit­té­ra­ture étran­gère nous avons assez vite renoncé par exemple à publier des auteurs anglo-saxons parce que nous avons bien com­pris que le sec­teur était occupé de tous les côtés et qu’il était très dif­fi­cile de s’y immis­cer. Fort heu­reu­se­ment, il y a encore des ter­rains vierges en lit­té­ra­ture étran­gère que les gros édi­teurs n’ont pas beau­coup explo­rés, comme la lit­té­ra­ture coréenne — que nous avons d’ailleurs ren­con­trée un peu par hasard et qui se trouve cor­res­pondre à ce que Laure Leroy et moi aimons en lit­té­ra­ture asia­tique. Nous avons donc com­mencé à publier plu­sieurs auteurs coréens, des “clas­siques” et des contem­po­rains avec les­quels d’ailleurs nous nous enten­dons très bien, et aujourd’hui, nous sommes l’éditeur étran­ger qui publie le plus d’ouvrages coréens à l’échelle mon­diale ! Mais nous avons aussi été les pre­miers à publier une tra­duc­tion des Kama sûtra direc­te­ment à par­tir du sans­krit, et l’année pro­chaine, nous allons nous lan­cer dans la lit­té­ra­ture indienne. Et il convient de sou­li­gner que toutes nos tra­duc­tions sont faites à par­tir des langues d’origine.

 

Com­ment se passe la créa­tion d’une col­lec­tion ? Vous par­tez d’un concept de base et vous recher­chez des textes pour l’alimenter, ou bien la col­lec­tion naît-elle d’une accu­mu­la­tion de manus­crits qui doivent être accueillis ?
Les deux ! par exemple la col­lec­tion “Grain d’orage” est née d’une accu­mu­la­tion de manus­crits aty­piques qu’on trou­vait très bien mais qui ne cor­res­pon­daient à aucune des normes habi­tuelles de for­mat — c’étaient même par­fois des livres qui avaient été refu­sés ailleurs à cause de leur briè­veté. Et on s’est dit que si un livre était bon, on ne devait pas le pri­ver de publi­ca­tion sous pré­texte qu’il est court. Mais il arrive aussi qu’on parte d’une idée, en pen­sant que ça cor­res­pond à une attente, à un besoin. Et comme on ne peut être fixé qu’en pas­sant à l’acte, on s’efforce de concré­ti­ser les idées quand elles se pré­sentent ; ensuite, on rec­ti­fie le tir selon les réac­tions. C’est en sui­vant ce che­min qu’on a lancé notre col­lec­tion “Le Ranch de la Pleine Lune” : nous avons eu envie de faire des livres de jeu­nesse mais sans avoir de manus­crits dis­po­nibles dans ce registre-là. Et puis la jeu­nesse est tout de même un domaine très par­ti­cu­lier ; comme nous avions une expé­rience en matière de livres spé­cia­li­sés sur les che­vaux, nous avons ima­giné qu’en publiant des livres de jeu­nesse qui évo­que­raient le monde du che­val, nous aurions déjà un public sus­cep­tible de s’intéresser à ces publi­ca­tions. N’ayant pas trouvé en France ce que nous cher­chions, nous avons acheté une série anglo-saxonne de romans pour enfants — de huit à seize ans — que nous avons fait tra­duire. Mais nous ne nous en sommes pas tenus là ! nous avons ajouté des des­sins ori­gi­naux et un “cahier “étho­lo­gique” qui, à la fin de chaque volume, reprend quelques thèmes du roman et les explique au lec­teur — par exemple, si dans le roman une jument met bas, le cahier étho­lo­gique expli­quera com­ment se déroule un accou­che­ment, les pro­blèmes qui peuvent sur­ve­nir, la conduite à tenir avec la jument… etc. Quand nous repre­nons des textes exis­tants, nous avons pour prin­cipe de leur ajou­ter tou­jours un “plus” édi­to­rial ; nous ne fai­sons pas par­tie des “poids lourds” de l’édition, aussi devons-nous inno­ver sans cesse pour atti­rer l’attention sur notre tra­vail ; c’est une contrainte, mais c’est très stimulant.

 

Qu’en est-il de votre col­lec­tion de récits de voyages, “Hors Bar­rière” ?
C’est une col­lec­tion qu’on a plus ou moins mise en som­meil, mais elle n’est pas arrê­tée ; on a sim­ple­ment exploré d’autres sec­teurs au lieu de conti­nuer d’exploiter davan­tage celui-là car l’intérêt pour les récits de voyage, qui a été très fort à une époque, a net­te­ment dimi­nué. Mais sans tarir tout à fait et d’ailleurs les livres de la col­lec­tion ont un public, ils conti­nuent à cir­cu­ler et à se vendre.

 

Qu’est-ce qui vous a poussé à créer “Zulma Poche” au prin­temps der­nier ?
Il y avait long­temps que nous avions envie de lan­cer cette col­lec­tion de manière à pou­voir remettre en cir­cu­la­tion quelques livres qui avaient eu un cer­tain reten­tis­se­ment en grand for­mat et qui étaient presque épui­sés. Si la demande demeure à peu près constante, on le réim­prime, mais comme on ne peut pas le remettre sur le mar­ché dans les mêmes condi­tions — il y a déjà eu au moment de la pre­mière publi­ca­tion une mise en place chez les libraires et une cam­pagne d’envois à la presse — on le sort en for­mat de poche. Pro­po­ser à nou­veau à la vente un titre ancien mais sous un for­mat dif­fé­rent et sur­tout à un prix moindre per­met de lui don­ner une seconde vie — c’est sur ce principe-là que fonc­tionnent les édi­tions de poche. Mais nous sommes encore jeunes et nous n’avions que deux ou trois titres qui répon­daient aux cri­tères que je viens d’exposer — notam­ment le pre­mier roman d’Ella Bal­laert, Mary Pirate. Aussi avons-nous assi­gné à “Zulma Poche” d’autres objec­tifs que de “res­sus­ci­ter” nos anciennes publi­ca­tions : par exemple récu­pé­rer les textes d’auteurs que nous aimons et que nous publions mais qui sont sor­tis chez d’autres édi­teurs et sont épui­sés — c’est alors une ques­tion de négo­cia­tions entre nous, l’auteur, et l’éditeur qui ne com­mer­cia­lise plus le(s) livre(s) en ques­tion.
Enfin, nous ali­men­tons ce cata­logue de poche par des livres dont les auteurs sont décé­dés et dont il faut retrou­ver les ayant-droits - à moins qu’ils appar­tiennent au domaine public, comme La Fille Élisa, d’Edmond de Gon­court qui sort cet automne ou Le Rayon vert, de Jules Verne, que nous allons sor­tir au prin­temps pro­chain. Mais là, nous nous heur­tons au pro­blème de la concur­rence : comme nous ne pou­vons pas accom­pa­gner le livre d’un appa­reil cri­tique consé­quent, à l’instar d’un gros édi­teur — cela exi­ge­rait un tra­vail qui nous obli­ge­rait à com­mer­cia­li­ser l’ouvrage à un prix trop élevé — nous le pro­po­sons sous une forme “dénu­dée” si j’ose dire ; le texte “nu”. De toute manière, nous n’avons pas pour but de faire de l’édition uni­ver­si­taire ou péda­go­gique ; l’idée qui nous guide, c’est de publier un texte pour le pur plai­sir de la lec­ture. Cela ne veut pas dire que nous n’établissons pas le texte, loin de llà ! au contraire, exhu­mer des textes anciens demande un soin tout par­ti­cu­lier et des recherches très pous­sées, et pour cela, nous fai­sons en géné­ral appel à des spé­cia­listes. Sim­ple­ment nous ne men­tion­nons pas les variantes et cor­rec­tions qui dif­fé­ren­cient les diverses édi­tions que nous consul­tons. Cela dit, nous nous expo­sons tou­jours au risque qu’un autre édi­teur sorte le même texte “nu” à un prix infé­rieur au nôtre. Mais ça demeure un risque minime, car avant de nous déci­der à publier un titre comme La Fille Élisa, nous pre­nons soin de nous ren­sei­gner sur d’éventuels pro­jets qui seraient dans l’air… La col­lec­tion de poche est un débou­ché idéal pour tous ces ouvrages du XVIIIe ou du XIXe siècle qui demandent beau­coup de tra­vail d’établissement du texte et qui revien­draient trop cher à fabri­quer en grand for­mat, d’autant que nous ne sommes pas cer­tains qu’ils trou­ve­ront leur public. Et puis dans cette col­lec­tion, on casse les cloi­sons entre les siècles, les genres.

 

“Zulma poche”, com­paré à “Vierge folle”, “Hors bar­rière” ou encore “Quatre-bis” pour les polars, est étran­ge­ment simple… d’où viennent les noms de vos col­lec­tions ?
Ceux que vous citez sont tirés des Amours jaunes de Tris­tan Cor­bière. Comme c’est chez lui que nous avons trouvé Zulma — qui est un pré­nom fémi­nin rela­ti­ve­ment cou­rant aux XVIIIe et XIXe siècles, que l’on peut lire chez Cré­billon entre autres — nous avons décidé de décli­ner les noms de nos col­lec­tions à par­tir de son œuvre. À chaque fois que nous créons une col­lec­tion, on cherche son nom en prio­rité chez Cor­bière — en pre­nant garde bien sûr que le nom reste faci­le­ment iden­ti­fiable par les lec­teurs. Ce qui, il faut le dire, n’est peut-être pas le cas de “Quatre-bis”… c’est une réfé­rence à la cel­lule où Cor­bière aurait été soi-disant incar­céré pen­dant quelques jours — et cela nous a amu­sés de don­ner ce nom-là à la col­lec­tion poli­cière. Mais si l’on ne trouve rien qui convienne chez Cor­bière, alors on cherche autre chose — et c’est ce qui s’est passé pour la col­lec­tion de poche.

 

Chaque col­lec­tion a-t-elle une pério­di­cité de paru­tion fixe et régu­lière, ou bien vous adaptez-vous en fonc­tion des arri­vées de textes ?
En fait publier un livre relève d’une véri­table gym­nas­tique d’équilibre des paru­tions, liée à la vie du livre en géné­ral et qui n’a pas de rap­port direct avec la ques­tion des col­lec­tions. Il est des textes qu’il est pré­fé­rable de sor­tir à tel moment, d’autres qui auront davan­tage de per­ti­nence à une autre période… c’est extrê­me­ment déli­cat, et il y a beau­coup de fac­teurs à prendre en compte pour déter­mi­ner la date de sor­tie d’un livre. Par exemple, ce n’est pas un hasard si on publie beau­coup de pre­miers romans lors des ren­trées lit­té­raires : il y a beau­coup de fes­ti­vals, de salons et de prix réser­vés aux pre­miers romans, et sor­tir un pre­mier roman en dehors de cette période revient à le pri­ver de ces occa­sions de faire par­ler de lui. Il faut aussi prendre garde de ne pas sor­tir à peu de temps d’intervalle des livres qui risquent de se concur­ren­cer l’un l’autre. Par contre, si on veut pro­mou­voir une col­lec­tion, on peut sor­tir plu­sieurs titres sous son label au cours du même mois — mais là ça se pré­voit bien à l’avance, et il est évident que des opé­ra­tions de ce genre doivent être ponc­tuelles. Ainsi, en février 2005, nous allons publier une nou­veauté de Fré­dé­ric Tris­tan, Le Fabu­leux bes­tiaire de madame Berthe, dans “Grain d’orage” et nous allons en pro­fi­ter pour remettre en place les autres titres de la col­lec­tion, qui marchent assez bien.

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Com­ment choisissez-vous vos textes ?
Il y a d’abord ceux qui arrivent par la poste — et ça repré­sente une masse de textes cent fois supé­rieure, au moins, à ce que nous pou­vons lire réel­le­ment ; de plus nous avons une marge de manœuvre très étroite en termes de publi­ca­tions pos­sibles à l’année. Donc ces textes demandent une ges­tion lourde et com­pli­quée. Mais c’est un vivier qui nous apporte des sur­prises : nous venons de rece­voir le manus­crit d’un auteur extra­or­di­naire, que nous ne connais­sions abso­lu­ment pas et que per­sonne ne nous a recom­mandé… son texte sera publié l’année pro­chaine. Et après une pre­mière publi­ca­tion, quand nous appré­cions le tra­vail d’un auteur, nous nous effor­çons de le suivre - ce suivi repré­sente une bonne par­tie de notre cata­logue. Il y a aussi des gens qui, sachant ce qu’on publie, connais­sant nos col­lec­tions, viennent spon­ta­né­ment nous pro­po­ser des pro­jets qu’ils pensent sus­cep­tibles de nous inté­res­ser. Enfin, il nous arrive de sol­li­ci­ter des auteurs pour qu’ils nous écrivent des textes — pour notre col­lec­tion “Grain d’orage” ou “Vierge folle”, notam­ment, dont le prin­cipe est de publier des textes uniques deman­dés en exclu­si­vité à des auteurs connus dans d’autres domaines.

 

Dans votre cata­logue figurent des auteurs qui ont publié dans d’autres mai­sons. Qu’est-ce qui, selon vous, les a inci­tés à venir chez vous et à y res­ter ?
Il y a plu­sieurs moti­va­tions. D’abord ceux que l’on a sol­li­ci­tés pour la col­lec­tion éro­tique : cette demande leur a per­mis de nous don­ner un seul texte sans que cela pose trop de pro­blèmes contrac­tuels par rap­port aux obli­ga­tions qu’ils pou­vaient avoir avec d’autres édi­teurs. Et puis il y a ceux avec qui on a tra­vaillé, qui ont été satis­faits de notre tra­vail et qui ensuite nous ont pro­posé d’autres textes, voire leur pro­duc­tion habi­tuelle parce qu’ils esti­maient qu’elle ne pou­vait plus être édi­tée ailleurs selon des condi­tions qui les satis­fai­saient. De fil en aiguille, le bouche à oreille fonc­tionne, et les gens finissent par savoir qu’on s’occupe peut-être d’avantage d’eux que dans une grande mai­son, qui n’est pas for­cé­ment aussi atten­tive à ses auteurs que peut l’être une mai­son de moindre taille. C’est un peu la même dif­fé­rence qu’il y a entre un petit com­merce et un hyper­mar­ché. Mais cette poli­tique d’auteur que nous aimons pra­ti­quer a un gros incon­vé­nient : étant donné que nous ne pou­vons pas aug­men­ter le nombre de nos paru­tions, il nous devient vite impos­sible d’absorber la tota­lité de ce que ces auteurs écrivent ; nous nous enten­dons donc avec eux pour qu’ils conti­nuent à pro­po­ser une par­tie de leur œuvre à d’autres édi­teurs. Ça crée une dyna­mique qui de toute façon est tou­jours posi­tive parce que ce sont des réseaux dif­fé­rents, et ça ne touche pas néces­sai­re­ment les mêmes lec­teurs. En ce qui concerne les gens qui envoient des textes aux édi­teurs pour la pre­mière fois, je pense qu’ils s’adressent autant à nous qu’à de plus grosses maisons.

 

En matière de revues et de média quelle est votre posi­tion par rap­port au réseau Inter­net ? Vous avez un site qui est bien fait, nous rece­vons vos avant-programmes par mail, vous avez donc une cer­taine confiance dans ce médium-là…
Je crois qu’au fil du temps presque toutes les revues ont déve­loppé leur propre site parce que c’est un moyen de com­mu­ni­ca­tion extra­or­di­naire — mais un moyen de com­mu­ni­ca­tion qui s’est sim­ple­ment rajouté aux autres, qui ne les exclut pas et ne les sup­plante pas non plus. Il y a eu une période de folie véri­table, où les sites exclu­si­ve­ment lit­té­raires fleu­ris­saient de tous côtés et nous deman­daient sans cesse des ser­vices de presse. Et nous ne pou­vions pas suivre ! Il est déjà dif­fi­cile de cou­vrir la presse tra­di­tion­nelle… et toutes ces demandes repré­sen­taient une charge beau­coup trop lourde pour nous. Heu­reu­se­ment la situa­tion s’est désor­mais sta­bi­li­sée, et l’on ne tra­vaille plus qu’avec quelques sites bien pré­cis. L’autre dif­fi­culté que nous a posée le déve­lop­pe­ment d’Internet, c’est l’envoi de manus­crits par cour­rier élec­tro­nique. Ça deve­nait impos­sible à gérer… Inter­net per­met peut-être de com­mu­ni­quer plus effi­ca­ce­ment — encore que cela reste à prou­ver — mais ne met pas à l’abri des pro­blèmes : chaque moyen de com­mu­ni­ca­tion a ses avan­tages et ses incon­vé­nients. Et puis je dois avouer que j’ai une nette pré­fé­rence pour le sup­port papier ; sinon, je ne serais peut-être pas éditeur…

 

D’un point de vue d’éditeur, vous faites donc davan­tage confiance à la presse papier qu’aux sites Inter­net pour por­ter vos livres ?
Non, je ne dirais pas les choses en ces termes… je crois que chaque sup­port a un uni­vers, des spé­ci­fi­ci­tés qui lui sont propres. Par exemple, sur un site, on pourra publier un long entre­tien qui ne tien­drait pas dans un quo­ti­dien ou heb­do­ma­daire. Ça per­met de dire beau­coup plus de choses, de nuan­cer le pro­pos, et c’est un acquis for­mi­dable. En revanche, il est me semble-t-il plus facile d’avoir une idée claire de l’impact que peut avoir une publi­ca­tion sur le papier que sur le net. Et puis — c’est sans doute une ques­tion de culture — il y a beau­coup d’irréductibles qui refusent Inter­net… je connais des auteurs qui n’ont pas d’ordinateur et sont res­tés fidèles à la machine à écrire — voire qui écrivent à la main et nous sou­mettent d’authentiques manus­crits au sens éty­mo­lo­gique du terme ! Pour en reve­nir à la presse, les jour­naux et maga­zines papier demeurent un sup­port tra­di­tion­nel auquel on reste atta­chés, mais les choses évo­luent peu à peu…

 

Quels sont les pro­jets de Zulma pour les mois à venir ?
Au mois de jan­vier pro­chain, nous allons lan­cer une nou­velle col­lec­tion de textes anglais publiés en anglais. Nous sommes par­tis du constat qu’il était sou­vent dif­fi­cile pour un lec­teur fran­çais de se pro­cu­rer cer­tains textes anglais dans leur ver­sion ori­gi­nale et cela nous a donné l’idée d’élargir notre pro­duc­tion en pro­po­sant ces textes-là assor­tis bien entendu d’un véri­table tra­vail édi­to­rial, et d’un “plus” qui ne relè­vera pas de l’édition cri­tique mais consis­tera, par exemple, à adjoindre à une œuvre majeure un texte moins acces­sible du même auteur. Ainsi, l’un des pre­miers titres de cette col­lec­tion, The Pic­ture of Dorian Gray, com­pren­dra un autre texte d’Oscar Wilde, The Decay of Lying, plus dif­fi­cile à trou­ver en anglais.
Au prin­temps, la col­lec­tion de poche s’enrichira de trois nou­veaux titres d’auteurs fran­çais, La Tra­hi­son de Cécile Wajs­brot, La Cène d’Hubert Had­dad et Le Jar­din dans l’île de Georges-Olivier Châ­teau­rey­naud ; et notre cata­logue de lit­té­ra­ture géné­rale va s’ouvrir à la lit­té­ra­ture indienne, notam­ment avec un roman inédit en fran­çais de Rabin­dra­nath Tagore. Nous allons par ailleurs sor­tir plu­sieurs livres coréens à l’occasion du salon de Franc­fort de 2005 où la Corée sera l’invitée d’honneur. La lit­té­ra­ture fran­çaise n’est pas négli­gée puisque nous allons publier un nou­vel auteur, ainsi que des nou­veau­tés signées par des auteurs confir­més figu­rant déjà à notre cata­logue, notam­ment le pro­chain roman de Cécile Wajs­brot. Comme vous le voyez, notre calen­drier de paru­tions est bien garni ! en fait, notre pro­blème, c’est que nous avons de quoi le rem­plir pour les deux années à venir et que des échéances aussi longues peuvent s’avérer dif­fi­ciles à tenir, tant pour les auteurs que pour l’éditeur…

 

Les livres Zulma sur lelitteraire.com

 

Romain Slo­combe, La Japo­naise de St John’s Wood
Un pho­to­ro­man extra­or­di­naire qui démontre que la forme est à jamais indé­fi­nie et qu’une his­toire peut se racon­ter de mille manières…

Ella Balaert, Mary pirate
Voici un roman sub­til construit autour du per­son­nage tout à fait réel de Mary Read, qui au XVIIIe siècle fut bel et bien pirate de son état.

Gisèle Pras­si­nos, Le Visage effleuré de peine
Dans ce roman à la Conan Doyle, la belle langue clas­sique de l’auteur sert une his­toire surréaliste…

Sté­phane Héaume, Orkhi­dos
En tis­sant l’univers flam­boyant de la pres­ti­gieuse cité Orkhi­dos, Sté­phane Héaume des­sine une magni­fique para­bole de nos socié­tés actuelles, trop brillantes et si peu humaines…

Hwang Sok-Yok, L’Invité
À tra­vers le per­son­nage de Ryu Yosop, un pas­teur coréen exilé aux États-Unis, Hwang Sok-yong revi­site la période qui a pré­cédé la Guerre de Corée en convo­quant, entre­mê­lées, les voix des défunts et des vivants…

Jean-Luc Stein­metz, Les Femmes de Rim­baud
Émi­nent spÈ­cia­liste de Rim­baud, l’auteur s’attaque ici au mythe en démon­trant que le poète mau­dit n’était pas indif­fé­rent aux femmes.

Jenny Old­field, Le Ranch de la Pleine Lune : “Indiana Boy”
Cette série qui rompt avec l’univers de la plu­part des romans des­ti­nés aux jeunes évoque, dans ce cin­quième tome, la rela­tion qui se noue entre l’héroïne Mélany Scott et un mys­té­rieux Appa­loosa.

Jacques Val­let, Abli­ba­bli
Othello Des­douches, le jour­na­liste voya­geur, héros récur­rent des polars de Jacques Val­let, est ici confronté aux menées d’un groupe d’islamistes extré­mistes lié au conflit libanais…

Hugo Horst, Les Cendres de l’amante asia­tique
Un ins­pec­teur de police pari­sien enquête sur divers meurtres per­pé­trés dans le milieu de l’édition. Une jeune Chi­noise bien mys­té­rieuse, cor­rec­trice d’épreuves, croise sa route… 

 

Edmond de Gon­court, La Fille Élisa
Publié en 1877, ce récit éton­nant qui narre le des­tin d’une pros­ti­tuée et explore l’univers d’une pri­son pour femmes méri­tait plei­ne­ment d’être réédité aujourd’hui, sur­tout dans une édi­tion aussi soi­gnée bien qu’épurée.

 

   
 

Pro­pos recueillis par isa­belle roche le 8 sep­tembre 2004 dans les locaux des édi­tions Zulma.

 
   

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