Entretien avec Claude Soulié (éditons La Bouriane)

La Bou­riane, c’est un petit coin de Quercy qui a donné son nom à une mai­son d’édition fon­dée par un libraire, Claude Soulié

La Bou­riane, c’est un petit coin de Quercy qui jouxte le Péri­gord. Voilà lâchés des noms magiques… truffe, foie gras et autres confits enva­hissent l’imaginaire des gour­mets tan­dis que les pen­sées des moins gas­tro­nomes d’entre vous s’emplissent de châ­teaux, de sites pré­his­to­riques, de causses arides ou de val­lées ver­doyantes… Un patri­moine humain et natu­rel dont la répu­ta­tion n’est plus à faire mais auquel, pour­tant, il manque un petit quelque chose : des livres grand public trai­tant de ses aspects les plus locaux, des spé­ci­fi­ci­tés les plus intimes de cette région. Une telle lacune ne pou­vait que sau­ter aux yeux d’un libraire comme Claude Sou­lié, de Gour­don, qui décida il y a quelques années de la com­bler en se lan­çant dans l’aventure édi­to­riale. Il créa les édi­tions de la Bou­riane — mais avec une pru­dence avi­sée, fruit d’une grande luci­dité, grâce à laquelle il ajuste au plus pré­cis sa pro­duc­tion aux moyens dont il dis­pose, ainsi qu’il nous l’expliqua lors d’une ren­contre des plus conviviales…

 

Claude Sou­lié, vous avez été libraire pen­dant plus de trente ans. Vous avez cédé votre fonds au prin­temps der­nier, mais peut-être pourriez-vous tout de même nous dire quel regard vous por­tez sur la ren­trée lit­té­raire ? Viviez-vous ce moment de l’année comme un cau­che­mar du temps de votre acti­vité de libraire ?
Non, pas exac­te­ment ! tous les libraires savent qu’ils vont être inon­dés de bou­quins en sep­tembre — quoique cette année, il sem­ble­rait qu’il y ait un peu moins de nou­veau­tés ; les édi­teurs semblent avoir com­pris qu’il fal­lait mar­quer le pas, que la sur­en­chère ne pou­vait pas se pour­suivre à un rythme aussi sou­tenu… comme dans tout domaine, trop d’abondance nuit ; rendez-vous compte : nous rece­vions jusqu’à pré­sent entre cin­quante et soixante titres dif­fé­rents en huit jours ! Des titres qu’il fal­lait mettre en place, dis­po­ser dans les rayons… les lec­teurs eux-mêmes étaient com­plè­te­ment débous­so­lés : ils auraient eu besoin qu’on les guide, qu’on leur explique un peu de quoi il s’agissait quand ils choi­sis­saient un livre. Mais étant donné la quan­tité que nous rece­vions, il nous était impos­sible de connaître tous ces ouvrages, et on ne pou­vait pas tou­jours aider les clients.
Il y a un autre fac­teur impor­tant à prendre en compte, et qui motive en grande par­tie cette ava­lanche de paru­tions en automne, c’est la série de prix lit­té­raires qui sont décer­nés. Encore que les ventes sur la seule foi du ban­deau “Prix Untel…” ne cessent de bais­ser. Par exemple, en termes de ventes, le Gon­court 2003 a été un fiasco. Je crois que les gens ont été sou­vent déçus, et main­te­nant, ils achètent beau­coup moins les prix lit­té­raires qu’il y a quelques années. Cela dit, comme ça reste valo­ri­sant — même si on ne sait pas vrai­ment ce que vaut le livre — d’offrir un prix lit­té­raire à quelqu’un, il y a tou­jours, bon an mal an, une petite vente quel que soit le titre. Il faut comp­ter envi­ron deux mois pour voir si un prix lit­té­raire est une “valeur sûre” et conti­nue à inté­res­ser les gens. Mais en géné­ral, l’intérêt se tasse très vite. A contra­rio, un prix comme le Livre Inter est en nette pro­gres­sion : ça fait trois ans qu’il génère des ventes impor­tantes — des sta­tions de radio comme France Inter et France Culture sont de bons vec­teurs.
En fait, je crois que ce concept de “ren­trée lit­té­raire” a d’abord été une ques­tion de mode, liée à un cer­tain pari­sia­nisme ; une mode issue de ces salons lit­té­raires très pari­siens que ces mes­sieurs dames tenaient à leur retour de vil­lé­gia­ture esti­vale, où ils par­laient des der­niers livres parus… là-dessus s’est gref­fée la remise des “grands” prix lit­té­raires, et l’automne est devenu la sai­son lit­té­raire. mais les choses sont en train de chan­ger. D’abord on prend conscience que cette pro­duc­tion plé­tho­rique, sur un laps de temps si court, est nui­sible aux livres — mais c’est le résul­tat de cette lutte achar­née que se livrent les édi­teurs pour avoir le plus d’espace dans les étals. On s’insurge aussi, de plus en plus — si j’en crois Livre Hebdo — devant ces attri­bu­tions simul­ta­nées de tant de prix… L’idée de lan­cer une autre “ren­trée” vers le mois de mars com­mence à s’imposer. Reste qu’en automne, la pers­pec­tive des fêtes de fin d’année aura tou­jours son impor­tance dans les courbes de ventes ; les achats peuvent se faire très tôt, et les gens achètent beau­coup de prix lit­té­raires à ce moment-là : ça valo­rise le des­ti­na­taire du cadeau, et ça ne grève pas trop les bud­gets modestes. De plus, c’est une ques­tion de confiance ; quand on ne connaît pas bien la lit­té­ra­ture, ou qu’on ignore les goûts de la per­sonne à qui on veut offrir un cadeau, le label d’un prix lit­té­raire est censé repré­sen­ter une garantie.

 

Com­ment vous est venue l’envie de créer les édi­tions de la Bou­riane ?
Tout sim­ple­ment parce qu’en tant que libraire, j’avais pu consta­ter que cer­tains livres man­quaient, sur des sujets très locaux. Vous savez, dans notre région — région au sens large, je veux dire le Grand Sud — il n’y a que très peu d’éditeurs. On compte quelques mai­sons impor­tantes, bien sûr, mais sur le plan stric­te­ment local, nous sommes très peu nom­breux — ainsi, dans le Lot, nous sommes trois. Donc tout est parti de là : je voyais qu’il man­quait des livres sur notre région, des livres pour les­quels il y avait une demande et que j’aurais pu vendre dans ma librai­rie s’ils avaient existé. J’ai alors décidé de me lan­cer dans cette aven­ture, qui n’était au début qu’un hobby, et non une acti­vité très lucra­tive. Mon atout, je pense, était que mon métier de libraire me per­met­tait d’avoir une connais­sance directe de ce que les gens atten­daient ; j’ai donc com­mencé à édi­ter. Mais je tiens à pré­ci­ser que je m’en suis tou­jours tenu — et m’en tiens là encore aujourd’hui — à des ouvrages de pur régio­na­lisme dont les thèmes n’ont pas encore été trai­tés : nature, his­toire locale, patri­moine (ves­ti­men­taire, archi­tec­tu­ral, culi­naire…) ; c’est un cré­neau qui est encore “por­teur” comme l’on dit, et c’est là qu’un édi­teur modeste comme je suis a une chance de se posi­tion­ner. Parce qu’un petit édi­teur doit pou­voir espé­rer une vente d’au moins mille cinq cents exem­plaires, au mieux, cinq mille. Si on n’a pas l’assurance d’une vente de ce calibre-là, on ne peut pas ten­ter l’aventure. C’est trop oné­reux : le moindre bou­quin, tiré à mille exem­plaires en numé­rique, revient envi­ron à trois mille euros. C’est un mini­mum, donc on ne peut pas se per­mettre de se trom­per, on n’a pas de droit à l’erreur. C’est pour­quoi je ne publie pas de lit­té­ra­ture roma­nesque : il faut avoir une sen­si­bi­lité par­ti­cu­lière, une cer­taine habi­tude, et un juge­ment sûr pour esti­mer a priori ce qui, étant de qua­lité, va se vendre. Or s’il ne dis­pose pas d’une équipe de sept ou huit pro­fes­sion­nels pour se pro­non­cer, se concer­ter, et appuyer la déci­sion de publi­ca­tion, l’éditeur a 90 chances sur 100 de se plan­ter. Et je n’ai pas les col­la­bo­ra­teurs néces­saires pour ma lan­cer dans l’édition pure­ment lit­té­raire. De toute façon, je ne crois pas du tout à la per­ti­nence abso­lue d’une ana­lyse faite en comité de lec­ture parce qu’il y a des para­mètres qui échappent. Et ce n’est qu’une fois sur le ter­rain qu’on en prend conscience. Mais je ne m’interdis pas de reve­nir sur cette posi­tion si, par exemple, demain, je tom­bais sur un auteur qui a une belle plume, qui ima­gine des his­toires se dérou­lant dans notre région, et dont les ouvrages sont acces­sibles à tout le monde — je pense à un lec­to­rat qui serait celui des auteurs de l’école de Brive, notam­ment - là je n’hésiterais pas à l’éditer. Mais pour l’instant, je ne connais pas de tels auteurs.

 

Même avec des sujets très “ciblés”, le risque d’erreur existe, non ?
Oui, bien sûr, mais il est moindre qu’avec la lit­té­ra­ture dite “géné­rale”. Et puis je mini­mise encore les risques en pro­cé­dant uni­que­ment par sous­crip­tion ; c’est la condi­tion de base, sinon, c’est trop aléa­toire. Quand on atteint des coûts de fabri­ca­tion de l’ordre de cinq mille euros, voire dix mille euros, l’échec com­mer­cial est inter­dit ! pour s’engager dans la fabri­ca­tion d’un livre, il faut être sûr qu’il inté­res­sera le public régio­nal. Jusqu’à pré­sent, pour tous les ouvrages que nous avons publiés, les coûts de fabri­ca­tion ont été inté­gra­le­ment cou­verts. Je dis­pose d’un fichier client assez impor­tant, et je dif­fuse mes appels à sous­crip­tion dans la presse locale et aussi par dis­tri­bu­tion directe dans les foyers. Je fixe des délais assez courts pour sous­crire, et dès que j’ai reçu approxi­ma­ti­ve­ment le nombre de sous­crip­tions conve­nable, alors je lance la fabri­ca­tion du livre.
Cela étant, la sous­crip­tion elle-même repré­sente une petite prise de risque finan­cier : ainsi, récem­ment, je lan­çais une sous­crip­tion en dif­fu­sant une publi­cité dans la presse locale — à savoir La Dépêche du Midi — pour réédi­ter un ouvrage qui traite de la Résis­tance dans le Lot en 1944. Ce livre, que j’avais édité il y a cinq ans, était en fait la réédi­tion d’un livre publié vingt-cinq ans aupa­ra­vant mais qui était épuisé et que l’on avait un peu oublié. Cette opé­ra­tion m’a coûté assez cher — envi­ron mille deux cents euros — mais j’espérais qu’en retour, elle amè­ne­rait quelque chose comme deux cent cin­quante sous­crip­tions. Je n’en ai reçu que cin­quante ! La sous­crip­tion a été un échec… mais si j’avais d’emblée investi dans la fabri­ca­tion du livre, ç’aurait été une catas­trophe finan­cière. Je pense que mon erreur a été de ne pas mesu­rer suf­fi­sam­ment à quel point les jeunes géné­ra­tions pou­vaient se dés­in­té­res­ser de la Seconde Guerre mon­diale. Tou­jours est-il qu’il faut être extrê­me­ment pru­dent, et que même en évi­tant la lit­té­ra­ture pure, on ne sait jamais avec cer­ti­tude où l’on va.

 

À l’échelle régio­nale, il y a quand même des édi­teurs qui publient de la lit­té­ra­ture — je pen­sais notam­ment aux édi­tions du Rouergue…
 Oui, je m’apprêtais à vous en par­ler. Voilà un bon exemple… les édi­tions du Rouergue ont été créées — avec beau­coup de per­ti­nence, d’ailleurs, puisque cette mai­son est main­te­nant recon­nue au niveau natio­nal et que ses livres sont dif­fu­sés par Actes Sud — par Mme Das­tugue, l’ex-patronne de la Mai­son du livre à Rodez, qui est la grande librai­rie de la ville. Ils ont d’importants moyens, aussi peuvent-ils déve­lop­per un cata­logue d’ouvrages appar­te­nant à ce que l’on appelle la “lit­té­ra­ture exi­geante” et s’offrir les ser­vices d’un dif­fu­seur natio­nal. Mais pour le moment, ce sec­teur lit­té­raire n’en est qu’à ses débuts, il faut encore attendre pour juger de son suc­cès.
Il y a bien sûr d’autres édi­teurs qui, dans la région Midi-Pyrénées — à Tou­louse notam­ment - publient quelques romans, mais je n’ai encore jamais vu l’un d’eux tom­ber sur le livre béni dont le tirage — vingt, trente mille exem­plaires — serait assez impor­tant pour ren­flouer conve­na­ble­ment la tré­so­re­rie. Or il ne faut pas se voi­ler la face : le nerf de la guerre c’est l’argent. Donc à moins d’avoir de gros moyens finan­ciers, un édi­teur doit impé­ra­ti­ve­ment avoir une juste per­cep­tion du “bon” ouvrage parmi tant d’autres, et pou­voir aussi esti­mer quel sera le moment le mieux adapté pour le sor­tir. Une cir­cons­pec­tion indis­pen­sable, à moins d’avoir à son cata­logue un auteur connu dont les lec­teurs achè­te­ront sys­té­ma­ti­que­ment toute la pro­duc­tion parce que c’est une écri­ture, des uni­vers qui leur conviennent.

 

Pour en reve­nir aux édi­tions de la Bou­riane, vous avez com­bien de titres au cata­logue ?
Oh, très peu : actuel­le­ment, une dou­zaine. Mais j’ai l’intention de don­ner une impul­sion nou­velle à la mai­son, et je vais lan­cer une petite cam­pagne média­tique pour inci­ter les gens du coin à m’envoyer des manus­crits — que ce soient des romans, des guides de toute espèce, des docu­ments… etc. Si les textes nous conviennent, les édi­tions de la Bou­riane le publie­ront, sinon on tâchera de leur conseiller un autre édi­teur. Je pense que cette ini­tia­tive sera la bien­ve­nue car vous savez, pour quelqu’un de chez nous qui écrit, ce n’est pas évident d’avoir les contacts adé­quats. Tenez, j’ai eu beau­coup d’appels de gens qui avaient écrit des livres pour la jeu­nesse. Or la jeu­nesse est un sec­teur dont je pré­fère ne pas m’occuper parce que c’est beau­coup trop oné­reux pour une dif­fu­sion natio­nale, et trop aléa­toire. Donc dans l’immédiat, notre but est de nous faire connaître, de faire savoir que nous sommes en mesure de don­ner un avis sur la qua­lité d’un ouvrage, et aussi que nous recher­chons des textes publiables.

 

C’est un appel à textes que vous lan­cez là…
Oui, abso­lu­ment. Cet appel va pas­ser trois fois par semaine pen­dant trois mois dans La Dépêche du Midi, il sera dif­fusé aussi dans le Péri­gord, et puis nous ver­rons ce qu’il en sor­tira. Mais je pense qu’il y a beau­coup de gens qui meublent leurs heures libres — par exemple des retrai­tés — en écri­vant. Et nous devrions rece­voir quelques manus­crits. En espé­rant que peut-être nous trou­ve­rons la perle rare : un livre bien écrit, abor­dable, à même de séduire un large public… Vous savez, je crois que l’objectif numéro un de la lec­ture, c’est d’apporter un moment de détente ; lorsque je deman­dais aux clients de la librai­rie qui cher­chaient des conseils ce qu’il atten­daient d’un livre, ils me répon­daient en géné­ral qu’ils sou­hai­taient “pas­ser un bon moment”.

 

Est-ce que les édi­tions de la Bou­riane ont un site inter­net ?
Nous avons un petit site inter­net, mais qui n’a pas été actua­lisé depuis un an et demi ! je vais à nou­veau m’en pré­oc­cu­per main­te­nant, et je vais le modi­fier com­plè­te­ment. Et peut-être vais-je y dif­fu­ser cet appel à texte. Je pense qu’avoir un site inter­net est un plus appré­ciable pour un édi­teur, ça lui donne une bonne image de marque, mais pour com­mer­cia­li­ser nos livres, par exemple, je ne crois pas que le recours au com­merce en ligne se jus­ti­fie - pour le moment du moins…

 

Si d’aventure vous avez, lec­teurs fidèles, l’âme, le cœur et la plume — sur­tout la plume ! — cou­leur Quercy — ou Péri­gord… et quelques manus­crits dans ces tons-là qui dorment au fond de vos tiroirs, n’hésitez pas à contac­ter Claude Sou­lié : les édi­tions de La Bou­riane sont en quête d’auteurs !

M. Claude Sou­lié
Édi­tions de la Bou­riane et du Quercy
BP 10
46300 GOURDON
E-mail :
libr.edit.bouriane@wanadoo.fr

 

   
 

Pro­pos recueillis par isa­belle roche en ter­rasse (sai­son esti­vale oblige…) à Gour­don en Quercy, le 6 août 2004.

 
   

1 Comment

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One Response to Entretien avec Claude Soulié (éditons La Bouriane)

  1. CORSON YVES

    Claude SOULIE ?? le mexique en 1988 ? c’est bien toi qui es dans l’édition ? Yves et Mary­vonne CORSON

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