Anthony Trollope, Noël à Thompson Hall et autres nouvelles

Un Trol­lope, c’est tou­jours du bonheur !

Après John Bull sur le Gua­dal­qui­vir et L’Ange d’Ayala (déjà chro­ni­qué ici), les édi­tions de l’Herne nous offrent le plai­sir de nous délec­ter d’un nou­vel ouvrage d’Anthony Trol­lope. Il s’agit cette fois d’un recueil de quatre nou­velles d’une cen­taine de pages cha­cune qui, mal­gré un ton et une his­toire dif­fé­rentes, pré­sentent tout de même le point com­mun de pré­sen­ter au lec­teur moderne la société vic­to­rienne dans ce qu’elle a de plus tragi-comique, à la façon de cet auteur fami­lier de la satyre, tel un Tha­cke­ray ou un Dickens, et de la pein­ture socié­tale acé­rée, à l’image d’une Eli­za­beth Gaskell.

Dans la pre­mière nou­velle, qui donne son titre à l’ouvrage, c’est un cata­plasme à la mou­tarde, que la pauvre Mrs Brown croyait appli­quer sur le torse de son frêle mari, qui déclenche un scan­dale et manque de détruire à jamais la répu­ta­tion de la dame. Car elle l’applique par erreur sur la poi­trine d’un autre mon­sieur ! Qui­pro­quos et mal­en­ten­dus, fausses portes et employés d’hôtel foui­neurs, tout est ici réuni pour une comé­die digne du bou­le­vard. Dans La Jeune fille du télé­graphe, le ton paraît d’emblée moins léger, puisqu’il s’agit de Lucy, une jeune orphe­line bien déci­dée à res­ter indé­pen­dante finan­ciè­re­ment – et donc sen­ti­men­ta­le­ment – et qui se retrouve char­gée de Sophy, autre jeune esseu­lée, beau­coup moins forte et ver­tueuse qu’elle. Mais point de pathos chez Trol­lope, car c’est bien sûr la cri­tique des mœurs de son époque qui point là-derrière.
Et il choi­sit, une fois n’est pas cou­tume, de le faire via un per­son­nage qui mérite l’admiration pour sa force de carac­tère inébran­lable, jusqu’à la rai­deur. Alice Dug­dale, héroïne épo­nyme de la troi­sième nou­velle de ce recueil, est elle aussi une jeune femme forte de carac­tère, ser­viable à l’excès pour sa famille, amou­reuse mais pour­tant pas prête à s’abaisser pour tou­cher l’objet de son amour. Car le jeune homme, contrai­re­ment à elle, semble se lais­ser bal­lo­ter entre le choix du cœur et celui de la nais­sance. Les Deux héroïnes de Plum­pling­ton, enfin, met encore une fois en lumière deux jeunes filles, en âge de se marier et dont les pères res­pec­tifs, cha­cun pour ses rai­sons archaïques, refusent de les accor­der à l’élu de leur cœur. C’est sans comp­ter avec la déter­mi­na­tion et le carac­tère des Miss Green­mantle et Pep­per­corn qui,  cha­cune à sa façon, mettent tout en œuvre pour par­ve­nir à leurs fins. Et à l’aide, en sous-main, de l’éminence grise de la ville, le révé­rend Freeborn.

On l’aura com­pris, Trol­lope aime les femmes fortes et qui ne s’en laissent pas comp­ter par leur société patriar­cale et étri­quée. L’air de rien, il loue l’indépendance, la volonté et la déter­mi­na­tion sans faille de ses héroïnes, qui par­viennent à se dépa­touiller à leur façon des sacro-saints pré­ju­gés et obli­ga­tions vic­to­riens, si ridi­cules soient-ils (p. 309 : « Ils dînaient tou­jours à sept heures et demie ; non pas parce que le maître de mai­son pré­fé­rait man­ger à ce moment-là plu­tôt qu’à un autre, mais parce que cette heure pas­sait pour être à la mode. »). La lec­ture de cet auteur magni­fique est tou­jours aussi plai­sante, même s’il ne s’agit pas là de ses textes les plus remar­quables, et le volume est joli­ment assorti de gra­vures du 19ème siècle.
Dom­mage cepen­dant que l’édition soit émaillée de coquilles et autres fautes qui peuvent gêner le lec­teur, et l’amener à se ques­tion­ner sur le tra­vail de relec­ture effec­tué dans une mai­son d’aussi bonne réputation.

agathe de lastyns

Anthony Trol­lope, Noël à Thomp­son Hall et autres nou­velles, tra­duit de l’anglais (Royaume-Uni) par Béa­trice Vierne, l’Herne, décembre 2014, 405 p., — 22,00 €.

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