Pol Bury, Abstraction in action (exposition)

Le magis­ter par­ti­cu­lier de Pol Bury

Réduire l’œuvre de Bury (1922–2005) à ses fon­taines (même si elles sont sublimes) revien­drait à se conten­ter de ne conser­ver que la par­tie émer­gée d’un ice­berg plein de fée­ries drôles et gla­cées dans les­quelles l’artiste n’a cessé d’interroger tous les types de volumes. Influencé par Yves Tan­guy et Magritte, il pré­sente pour la pre­mière fois sa pein­ture à l’Exposition inter­na­tio­nale du Sur­réa­lisme en 1945 à Bruxelles. Il se rap­proche du mou­ve­ment Cobra, séduit par les prises de posi­tion déli­bé­ré­ment non confor­mistes et l’attitude expé­ri­men­tale du groupe. Tou­te­fois, plus soli­taire qu’homme d’école, il s’engage vers son abs­trac­tion aussi géo­mé­trique que para­doxa­le­ment figu­ra­tive.
La décou­verte du tra­vail d’Alexander Cal­der lui fait aban­don­ner défi­ni­ti­ve­ment la pein­ture pour la créa­tion des reliefs mobiles et des « Mul­ti­plans » ani­més de moteurs le plus sou­vent élec­triques. Sur diverses formes — sphères, car­rés, cubes, cylindres -, l’artiste ajoute des bou­quets de tor­sades métal­liques, des fais­ceaux de fils nylon. Cela crée une appa­rence ludique et peut évo­quer bien des images. Mais la démarche de l’artiste ne sus­cite pas néces­sai­re­ment des inter­pré­ta­tions. Les élé­ments s’animent et vibrent. Eugène Ionesco écrit en intro­duc­tion de la deuxième expo­si­tion per­son­nelle de Bury à New York : “Main­te­nant regar­dez com­ment ces élé­ments se meuvent et ceux-là s’infléchissent : écou­tez com­ment ceci grince, cela gronde et grogne, écou­tez atten­ti­ve­ment et regar­dez com­ment cela bouge, pas beau­coup, juste un peu”.

En 1972 Bury réa­lise sa pre­mière com­mande publique : 4087 Cylindres érec­tiles pour le centre Georges Pom­pi­dou. Réa­li­sée en chêne peint en noir, elle com­prend plus de 4000 cylindres en hêtre clair répar­tis par grappes sur le fond d’un pan­neau qui s’articule en paravent. Quelque temps aupa­ra­vant, il avait réa­lisé sa pre­mière fon­taine, pour l’Université d’Iowa (États-Unis). La plu­part de ses œuvres seront consti­tuées de longs cylindres ou de sphères. La plus célèbre reste celle située juste à côté des colonnes de Buren, dans la cour des jar­dins du Palais Royal à Paris. Cette double fon­taine est com­po­sée de sphères de métal. Elles reflètent les colonnes tout en ayant une fonc­tion tra­di­tion­nelle de fon­taine, alliant moder­nité et tra­di­tion.
A par­tir de 1999, Bury décline dans une mul­ti­tude de varia­tions et avec une grande vir­tuo­sité, le thème du carré : car­rés de cuivre ou carrés-miroirs super­po­sés s’articulent dans l’espace. A par­tir de 2001, il réa­lise à l’aide de Pho­to­Shop des «ramol­lis­se­ments vir­tuels» à par­tir d’ektachromes des œuvres des grands maîtres de l’histoire, Cra­nach, Michel Ange, etc.. Enfin, en 2003 et 2004, il retrouve cette len­teur qui ani­mait les sculp­tures des années 60. Mais les reliefs sont désor­mais d’un dépouille­ment mini­ma­liste : boules et bâton à fleurs de sur­faces mono­chromes aux cou­leurs réduites et aux mou­ve­ments imperceptibles

Refu­sant une vision anthro­po­mor­phique de l’art, l’artiste pré­fére tou­jours ses formes et volumes céli­ba­taires. Grâce à son incoer­cible liberté, Bury crée une œuvre intel­li­gente et forte tout en dis­sol­vant l’intelligible dans une forme d’abstraction (en deux ou trois dimen­sions). Peu de créa­teurs sont par­ve­nus à atteindre ce qu’il a réussi. Ses œuvres (artis­tiques comme lit­té­raires) donnent l’impression que tout est « dit » sous la sobriété appa­rente qui cache tant de chausse-trappes, que ce soit sous formes de petits bouts de bois qui grouillent ou à tra­vers ses grandes sculp­tures en métal poli.
Mar­gi­nal sans le vou­loir, Pol Bury fut donc une sorte de sis­mo­graphe capable de mettre le branle aux formes admises par la géo­mé­trie eucli­dienne. Tou­jours aériennes même dans leur effet de masse, ses sculp­tures (comme ses des­sins) sous leur “ super­fi­cia­lité ” ne laissent jamais un goût d’inachevé. Véri­table poète aussi, il a su inven­ter des modi­fi­ca­tions de struc­tures pour lut­ter contre l’ennui :« cette valeur éter­nelle qui sur­nage au-delà des modes » comme il l’écrivit dans Epi­logue Pro­vi­soire (Ed Daily Bul). C’est sans doute pour­quoi il les refusa : elles ne n’étaient faites selon lui que pour « s‘accommoder des incon­grus qu’on finit par retrou­ver fai­sant leurs nids dans vos encoi­gnures » (idem). Ne cher­chant jamais le scan­dale de la nou­veauté pour elle-même, le plasticien-géomètre ne devint en consé­quence jamais obso­lète. Et on pour­rait même le ran­ger parmi les « clas­siques » (quitte à le faire se retour­ner dans sa tombe).

jean-paul gavard-perret

Pol Bury, Abs­trac­tion in action, Callewaerrt-Vanlangendonck Gal­lery, Anvers à par­tir du 17 sep­tembre 2015.

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