Jean-Claude Silbermann, L’étroit chemin du large

Poétique et politique

Surréa­liste « attardé » (mais en rien demeuré,) Jean-Claude Sil­ber­mann a par­ti­cipé aux acti­vi­tés du groupe sur­réa­liste de 1958 à 1969 et com­mence à peindre des « enseignes » en 1962 après avoir décou­vert la sil­houette en bois d’un por­teur de menu devant un res­tau­rant. Il double son acti­vité de peintre par celle de « poète ». L’étroit che­min du large  per­met de décou­vrir ou redé­cou­vrir les écrits publiés, pour la plu­part, aux Edi­tions Enclos de Six Bananes sous forme de pla­quettes au tirage res­treint. L’ouvrage est défini très per­ti­nem­ment ainsi par l’éditeur : « ces écrits imposent de nouer soli­de­ment les lacets de ses chaus­sures avant de prendre un che­min si chao­tique qu’une chute due à un défaut de laçage lais­se­rait le lec­teur désem­paré, dans un délais­se­ment dont nous décli­nons par avance toute responsabilité ».

Porté par les mêmes moti­va­tions que celles de sa jeu­nesse, l’auteur fait jaillir de ses textes des « actes » incons­cients non iden­ti­fiés mais qui ouvrent à ce mer­veilleux dont par­lait déjà un autre sur­réa­liste Pierre Mabille. Il s’agit pour Sil­ber­mann, même s’il affir­mait que « le plai­sir de la méchan­ceté échappe aux âmes simples », de « pas­ser du néga­tif au posi­tif sans deve­nir un imbé­cile, ou un salaud ». C’est pour­quoi tous ces textes deviennent des bonds impré­vus afin de sai­sir ce qui échappe au mar­chan­dage de la dia­lec­tique.
Etre sur­réa­liste pour Jean-Claude Sil­ber­mann se fonde sur un point d’achoppement fon­da­men­tal : « le tour­ment d’être au monde et de devoir un jour le quit­ter ». L’auteur l’exprime hors pathos et avec humour. Et si son œuvre doit à « l’enthousiasme excen­trique » d’un Höl­der­lin, elle pousse plus loin le dérè­gle­ment du roman­tisme alle­mand par l’appréhension de ce que l’esprit contient de forces para­nor­males. Pre­nant en compte « une morale du mal » mise en scène autant par Sade que Lau­tréa­mont, Sil­ber­mann crée un ques­tion­ne­ment poé­tique et poli­tique qui trans­cende les don­nées du sur­réa­lisme « bretonnant ».

Certes, l’auteur a soin de rap­pe­ler ce qu’il doit au Pape du Sur­réa­lisme capable selon son héri­tier de per­mettre à cha­cun de se gui­der vers sa « sor­tie inté­rieure ». Sil­ber­mann trouve les pré­sences contem­po­raines du Sur­réa­lisme ori­gi­nel autant dans hap­pe­nings poli­tiques, chez Daniel Nadaud, Fabrice Hybert, Jeff Koons que chez les « Pussy Riot » pour leurs pro­vo­ca­tions anti­re­li­gieuses et anti-dictatoriales.
L’aspect poli­tique du sur­réa­lisme reste essen­tiel pour l“auteur même si son œuvre mine sur­tout par la poé­sie « la société de la trans­pa­rence, la société de convi­via­lité poli­cière » dénon­cée par Ray­mond Borde. Il ne faut pas oublier pour autant le côté plus « léger » d’une œuvre où, par exemple, le bas fémi­nin est décrit ainsi : « Il se déroule de la pointe de pied à mi-cuisse en confé­rant aux jambes des femmes le flou de la tou­pie qui tourne ». Le poète est sou­vent plus per­ti­nent dans de telles dérives que dans ses flé­chages poli­tiques inopé­rants comme s’il oubliait ce qu’il a lui-même écrit et qui ruine par avance toute théo­rie poli­tique : « Toute pierre lan­cée au hasard se dirige, avec une éton­nante pré­ci­sion, vers l’endroit qu’elle finira par atteindre. »

jean-paul gavard-Pperret

Jean-Claude Sil­ber­mann, L’étroit che­min du large, URDLA, Vil­ler­banne, 2015 - 15,00 €.

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