Olivier Mottaz vampire et stimulateur d’aubes : entretien avec l’éditeur

Olivier Mot­taz est un des rares édi­teurs qui osent dépas­ser les col­lines où la lit­té­ra­ture pan­toufle en culti­vant le pas­tel plus que les cou­leurs tran­chantes. Depuis la Suisse, il pro­pose des réso­nances intem­pes­tives en culti­vant les « mau­vais » genres. Il a créé en 2013 les Edi­tions Sten­tor spé­cia­li­sées dans la publi­ca­tion de textes de fic­tion stig­ma­ti­sants, d’ouvrages dis­si­dents dans les sciences humaines, des fan­tai­sies « pour cor­rompre la jeu­nesse » et des guides déri­veurs « pour éga­rer les curieux ».
Polar, science-fiction, fan­tas­tique, éro­tisme, et même « la franche et tru­cu­lente por­no­gra­phie » sont donc le fonds de com­merce d’une mai­son d’édition ambi­tieuse qui refuse la lit­té­ra­ture angé­lique au pro­fit de celle d’ écha­fauds. On citera d’Emilie Boré : les Contes sau­gre­nus pour endor­mir les parents, de Patrick Morier-Genoud : Lubric-à-brac. Abé­cé­daire du Q (mais pas que…), ou encore d’Emer de Vat­tel : Les Four­mis et autres pièces conjec­tu­rales. De tels titres prouvent que l’éditeur pré­fère le goût qu’on estime (à tort) dou­teux que d’entretenir les dis­cours ané­miés. Que deman­der de mieux ?

Entre­tien :

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Au pied de la lettre : en géné­ral, du rock indé ou pro­gres­sif, voire de la musique baroque. Ou un simu­la­teur d’aube ! Le tout accom­pa­gné obli­ga­toi­re­ment et au plus vite de plu­sieurs hec­to­litres de café, sinon je me fais grizzly et mieux vaut ne pas m’approcher.

Que sont deve­nus vos rêves d’enfant ?
Mon plus grand rêve était celui de bien des mômes : deve­nir astro­naute. Du coup, édi­ter aujourd’hui de la science-fiction me comble de joie…

A quoi avez-vous renoncé ?
A être un cador en mathé­ma­tiques ! Ou en chi­mie. Ou en géo­mé­trie des­crip­tive (une dis­ci­pline qui range les tor­tures guan­ta­na­mesques au rayon des aimables plai­san­te­ries).

D’où venez-vous ?

Est-ce que l’on sait d’où l’on vient?

Qu’avez-vous reçu en dot ?

Un goût pour la langue et l’imaginaire, un tem­pé­ra­ment contem­pla­tif, rêveur, et une fou­tue sen­si­bi­lité baroque … par­fois très encom­brante.

Qu’avez vous dû “pla­quer” pour votre tra­vail ?

Une cer­taine idée de la sécu­rité. Et mon ancien appar­te­ment !

Un petit plai­sir — quo­ti­dien ou non ?

Un bon verre de single malt. Ce qui devien­dra un plai­sir quo­ti­dien le jour où la méde­cine pourra, en tri­po­tant mes cel­lules souches, me refaire pous­ser un beau foie tout neuf.

Qu’est-ce qui vous dis­tingue des autres édi­teurs ?

Un pro­gramme édi­to­rial cen­tré sur les mau­vais genres.

Quelle fut l’image pre­mière qui esthé­ti­que­ment vous inter­pella ?

Sans doute une image ciné­ma­to­gra­phique — et trau­ma­tique à la fois. Je pense au zig dont les yeux sortent des orbites, après un pas­sage dans une cen­tri­fu­geuse (le nanar s’appelait La Guerre des cer­veaux, si ma mémoire est bonne). Ou alors aux der­niers plans du Tri­angle du diable, un télé­film amé­ri­cain consa­cré au Tri­angle des Ber­mudes, oeu­vrette qui a ter­ri­fié et empê­ché de dor­mir bien des gosses à la fin des années 70.

Et votre pre­mière lec­ture ?

Un livre de la Biblio­thèque verte m’avait fait forte impres­sion: . Plus tard, à la pré­ado­les­cence, San-Antonio et Ste­phen King m’ont défi­ni­ti­ve­ment converti aux sub­ver­sions de la lec­ture.

Pour­quoi votre atti­rances vers l’édition des genres non “nobles” ?

En rai­son des coups de coeur énu­mé­rés ci-dessus !

Quelles musiques écoutez-vous ?

Un peu de tout, avec un accent par­ti­cu­lier mis sur les clas­siques de mon pan­théon per­sonne l: Dire Straits, Pink Floyd, Radio­head ou Marin Marais.

Quel est le livre que vous aimez relire ?
J’ai pour prin­cipe de ne jamais relire entiè­re­ment un livre. Il y a trop de romans esti­mables à décou­vrir…

Quel film vous fait pleu­rer ?

Les réa­li­sa­teurs (et les croo­ners) ita­liens ont le chic pour réveiller la midi­nette qui som­meille en moi. Je me rap­pelle ainsi avoir versé une larme à la fin de Stanno tutti bene, de Giu­seppe Tor­na­tore. Mon ex-compagne en rigole encore !

Quand vous vous regar­dez dans un miroir qui voyez-vous ?
Comme tout bon vam­pire qui se res­pecte, je ne me regarde jamais dans les miroirs.

A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?

A Fré­dé­ric Dard. Trop tard désor­mais !

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?

Lou­sonna. Alias Lau­sanne. En effet, Dalì s’est planté : le centre du monde ne se trouve pas en gare de Per­pi­gnan mais bien à Lou­sonna.

Quels sont les édi­teurs dont vous vous sen­tez le plus proche ?

Actes Sud, Hélice Hélas, Xenia, Oli­vier Morat­ter Edi­teur…

Qu’aimeriez-vous rece­voir pour votre anni­ver­saire ?
L’imprimante dont s’est ser­vie la Fed pour inon­der le monde de mon­naie de singe.

Que défendez-vous ?
Les lit­té­ra­tures de l’imaginaire. La pen­sée construite, le rai­son­ne­ment, la polé­mique. Les beau­tés par­fois sur­réa­listes du fran­çais. Les canailles et les viveurs.

Que vous ins­pire la phrase de Lacan : « L’Amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Qu’on pour­rait la détour­ner avec pro­fit. Ainsi, qu’est-ce que le mar­ke­ting ? C’est vendre trop cher un pro­duit de qua­lité médiocre à quelqu’un qui n’en veut pas.

Que pensez-vous de celle de W. Allen : « La réponse est oui mais quelle était la ques­tion ? »

Qu’en matière d’accouchement des esprits, l’humour et la phi­lo­so­phie sont impa­rables !

Quelle ques­tion ai-je oublié de vous poser ?
Pour­quoi les socié­tés occi­den­tales pataugent-elles depuis qua­rante ans dans l’idéologie néo­li­bé­rale ? Ou : pour­quoi n’a-t-on pas chargé Mil­ton Fried­man, Ronald Rea­gan et miss That­cher sur un ferry que l’on aurait coulé en eaux profondes ?

Pré­sen­ta­tion et entre­tien réa­li­sés  par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 24 juin 2015

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