Paul Auster, Brooklyn Follies

Voilà un homme qui pense être arrivé au bout de sa route. Nathan Glass croit sa vie ter­mi­née parce qu’il n’a plus réel­le­ment d’espoir

Nathan Glass a soixante ans

Voilà un homme qui pense être arrivé au bout de sa route, après une exis­tence rem­plie et chao­tique mais jus­te­ment nour­rie des vicis­si­tudes de la vie moderne. Un homme blessé, dans sa vie et dans son corps, et voilà que dès les pre­mières pages pour­tant, on se penche sur lui sans fausse com­pas­sion.
D
éjà, il est proche de nous, même si Brook­lyn, son uni­vers, n’est pas le nôtre exac­te­ment mais plu­tôt, à peu de choses près, ce que nous res­pi­rons, ce qui nous ins­pire nous aussi. Le sou­ve­nir de nos mai­sons d’enfance, d’une lumière accro­chée à la fenêtre d’un immeuble sur le che­min de l’école, le ven­deur de jour­naux qui nous fait tou­jours la même blague, la cou­leur des arbres aux pre­miers jours d’automne… Nous avons tous un peu de Nathan Glass en nous.


P
aul Aus­ter sait accro­cher le lec­teur en créant des per­son­nages qui, d’emblée, lui sont fami­liers. Dés lors il entre dans une lec­ture fluide et cha­leu­reuse, accro­ché au fil rouge des per­son­nages, aux racines qui rassemblent.

Nathan Glass croit sa vie ter­mi­née parce qu’il n’a plus réel­le­ment d’espoir — celui de conqué­rir, d’entrer dans le jeu de l’action pour quelque chose ou quelqu’un qui en vaille le détour. Il pense finir sa vie, là, un peu comme un ermite urbain, isolé dans son appar­te­ment de Brook­lyn et n’ayant plus grand-chose à réa­li­ser, si ce n’est d’attendre et mettre de l’ordre dans ce qui reste à régler.

A
u prin­temps de cette année 2000, il retrouve son neveu Tom, tren­te­naire désa­busé, dolent et égaré par la vie lui aussi. Ces deux hommes sans pro­jets s’additionnent pour­tant avec bon­heur et cette rela­tion change la donne. À petits pas, ils se nour­rissent l’un l’autre de ce qu’ils ont en com­mun et se mettent à vou­loir recon­qué­rir leurs rêves d’enfant.

Le livre entre alors dans un espace presque oni­rique, où l’on croise des fées dans les rues embuées de Brook­lyn au petit matin, où l’on ren­contre des aven­tu­riers de la vie, des per­son­nages presque bri­sés qui pour­tant s’accrochent à leurs envies, des hôtels qui se trans­forment en palais le temps d’une nuit.

Alors, dou­ce­ment, par le hasard du quo­ti­dien, parce qu’à nou­veau le regard est vif et porté sur la beauté du monde, ces hommes réus­sissent à prendre leur des­tin en main, choi­sis­sant, pour une fois, de réa­li­ser leurs rêves aban­don­nés depuis l’enfance et qui pour­tant les taraudent…

Les élec­tions, la guerre, Bush et son credo, ce que devient le monde dans sa course au pro­fit, tout cela est rejeté, loin der­rière ce qui importe le plus : les valeurs humaines, le cœur des hommes.
Paul Aus­ter nous plonge encore dans un réseau de per­son­nages qui crée une famille à laquelle nous sem­blons appar­te­nir. Des per­sonnes dont nous par­ta­geons les angoisses, les ques­tions ou les réflexions sur ce monde qui devient fou. Au fil de la lec­ture, le tissu des ren­contres s’intensifie et le talent de l’auteur est de nous faire tenir ce fil conduc­teur, en ponc­tuant les pages d’aperçus qui res­serrent les liens entre cha­cun d’eux.
Il déve­loppe pour nous un champ rela­tion­nel où il ne peut s’agir de rôles secon­daires. Aucun figu­rant, per­sonne ne nous échappe ; cha­cun reste pré­sent au-delà des pages, nour­ris­sant, autant que la ville elle-même, le pay­sage de notre lec­ture. C’est dense et fami­lier et oui, ici nous sommes un peu amé­ri­cains.

C
e qui arrive réel­le­ment à tous ceux qui tra­versent ce livre reste une folle aven­ture où le lec­teur se risque lui aussi. Cha­cun retrouve le goût de l’espoir, cha­cun pioche son rêve d’enfant ou éclair­cit son che­min. Quelque part entre ces pages demeurent des gens que le lec­teur connaît.
Il se pour­rait que dans notre ima­gi­naire l’auteur ait réussi ce tour de passe-passe de nous lier à lui et à ses per­son­nages, comme à une véri­table famille. Il nous offre les mots, les noms et nos pola­roïds intérieurs…

karol letour­neux

   
 

Paul Aus­ter, Brook­lyn Fol­lies (tra­duit par Chris­tine Le Boeuf), Actes Sud, août 2005, 363 p. — 23,00 €.

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