Tamina Beausoleil : Lilith est de retour
Les femmes hybrides de Tamina Beausoleil ont été rejetées par les Eglises et les Zohar. Elles sont prises pour des dévoreuses et si aucun scribe n’a osé le dire il faut les remplacer. Sans pour autant reprendre les fureurs d’Isaïe qui faisait cohabiter de telles femmes avec la fureur des chats sauvages, des chacals, des hyènes afin de régner sur les satyres, les vautours et bien sûr les hommes. A travers elles, la créatrice se réapproprie les codes sémantiques de la séduction et les images que les hommes accordent à la femme. Sous l’ironie perdure une tendresse mais on apprécie surtout que l’artiste les montre enroulées parfois dans les ténèbres matricielles, baignées par l’eau et le feu encore soudés. Elles surgissent parfois en animaux écorchés. La dessinatrice les fragmente en étincelles de souffre et marque la rupture initiale entre les genres et la mutilation du féminin que l’homme a engendré pour garder son pouvoir.
En ses Métamorphoses, Tamina Beausoleil rend la femme avide, conquérante, belle. Elle secoue les temps englués dans la pierre molle. En ses dessins s’anime le vivier du possible, de l’amour et de la folie. L’imaginaire galope au cœur de la sève féminine, il en possède tous les pouvoirs, le magnétisme. Souvent nue — pour feindre respecter les jeux des codes instituée -, la femme reste libre et tellurique dans les spasmes de l’eau. Elle est déesse triomphante, ignore la culpabilité. Elle régne sans tabou sur Adam et n’est pas née de sa côte comme un contresens sur la traduction de ce qu’on nomme « Le Livre » l’a fait croire.
Parfois oiseau en griffes, elle s’envole, laissant derrière elle des soies vénéneuses chargées de volupté. Du puits initial elle retrouve sa force et parcourt les chemins de la vie. Au besoin, elle vole à l’homme ses sueurs, son haleine, sa langue, ses lèvres. Amante, elle est de celles qu’on n’oublie pas. Mais elle préfère chevaucher Lucifer, assembler des contraires, partager le mirage de l’animal en croquant des fruits défendus par provocation. L’artiste appelle son règne vertigineux, altier et incendiaire de femme-vouivre. Les orages la saluent et creusent la terre pour lui faire place. Avec eux, elle attise le feu et souffle les cierges dans des éclaboussures d’éclairs et des images aussi magiques que réelles.
jean-paul gavard-perret
Tamina Beausoleil, Big Cartel , Edition de la Salle de Bains, 2015 — 6, 00 €.