Sommes-nous les esclaves de la télévision et de l’ère du divertissement ? Ou allons-nous devenir des victimes du grand show ?
États-Unis, 2060…
Mitch Kotlowitz est un historien pas comme les autres. Chercheur, il enseigne dans une université renommée. Mais ce n’est qu’une facette de sa personnalité, car son “truc”, c’est de reconstituer les batailles du passé dans des jeux de rôles grandeur nature, pour voir exactement comment se déroulaient les combats. Interviewé sur Historia Channel, il est remarqué par le général Myron Opfermann alors qu’il doit faire face à ses détracteurs habituels et défendre l’intérêt de passer à des reconstitutions employant des balles réelles.
À l’autre bout du monde, Gary Hendershot photographie la guerre et les horreurs qu’elle entraîne. Blasé, il reste cependant humain et à l’écoute de ses contemporains. Être là lui permet de ne pas penser, de noyer son chagrin et d’éviter d’avoir à faire le deuil de sa compagne, décédée six mois auparavant dans un atroce mais banal accident de voiture. Au beau milieu d’un camp, au cœur des conflits, un hélicoptère vient le chercher : il semblerait que lui aussi ait été remarqué par le général Opfermann.
Dans les locaux de KWN, Benton Jennings est un jeune loup créatif qui rêve de progresser dans l’organigramme d’une des sociétés de télévision les plus regardées au monde. Alors que le suicide de Marilyn Monroe fait seulement 33% des parts de marché, il propose un concept de génie : envoyer deux gars à Omaha Beach pour filmer le Débarquement et même mieux : y participer ! La technologie des voyages dans le temps, désormais maîtrisée par les militaires, ouvre des perspectives démentes en matière de divertissement. Et celui-là promet d’être vraiment fort en émotions !
À l’heure où les émissions de télé-réalité polluent nos petits écrans, Christophe Lambert imagine un concept qui serait sûrement exploité si la technologie nous le permettait : voyager dans le temps et envoyer des gens dans le passé qui assistent en direct aux événements et y prennent part. Il propose par là-même une réponse à une question d’envergure : est-il possible de modifier le passé sans intervenir sur le futur ? Pire encore (car telle est LA vraie question que pose cet ouvrage) : jusqu’où sommes-nous prêts à aller pour nous divertir ?
D’une plume acérée et claire, l’auteur dépeint un futur qui ne donne vraiment pas envie de le rejoindre. Télévision omniprésente, inhumaine et à l’affût de la moindre faille (individuelle ou collective) pour s’y engouffrer, dictat de l’audimat, nécessité de rentabilité… Bref, rien de bien excitant, sauf pour les commerciaux endurcis et autres personnes bénéficiant grassement des dividendes d’un capitalisme forcené. Difficile de se sentir bien dans cet univers. Pourtant, la magie opère et le lecteur s’identifie vite avec les deux hommes envoyés à l’aventure. Ensuite, tout s’enchaîne et l’on dévore ce roman sans en perdre une miette tant il est facile et plaisant à lire. Il faut préciser que l’auteur n’en est pas à son coup d’essai : La Brèche est son vingt-huitième ouvrage, et nos benjamins le connaissent déjà bien. Écrivain prolifique, il sort trois livres pour cette seule année !
Doué et imaginatif, Christophe Lambert se pose dans la lignée des auteurs de Science-fiction, interrogeant sans détours la société dans laquelle il vit, critiquant de toutes les manières possibles un monde qui lui déplaît. On voit ainsi une charge rapide s’esquisser contre l’univers de l’audiovisuel (univers qu’il connaît bien pour y avoir travaillé), les militaires et leur culte du secret sont aussi épinglés, de même que les téléspectateurs “moyens”, souvent ravis de se trouver sous le feu des projecteurs et abandonnant alors toute pudeur.
On regrettera alors une fin trop convenue, qui rend ce livre certes abordable pour un public jeune mais donne l’impression d’une certaine facilité. À voir toute la matière qui pouvait être exploitée, on en ressort quelque peu frustré et on aimerait lire des textes plus denses, et plus longs. Quitte à perdre en légèreté et à devoir digérer un pavé !
Ce texte simple rendrait presque l’uchronie accessible à tous les publics…
anabel delage
NB — Consulter le site NoosFere, spécialisé dans les littératures de l’imaginaire. Un très beau site, très complet, où vous trouverez également une chronique de La Brèche.
Christophe Lambert, La Brèche, Fleuve Noir coll. “rendez-vous ailleurs”, 2005, 210p. — 15,00 €. |
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