Georges Borgeaud, Lettres à ma mère

L’absente

Mi– « fou » mi-chantant, Bour­geaud à tra­vers les lettres à sa mère ramène au lan­gage en un double mou­ve­ment de conta­mi­na­tion et d’ironisation de celle qui en lui don­nant le jour ne lui donna pas for­cé­ment la lumière escomp­tée. Le petit Georges fut un enfant natu­rel : en 1914, c’était une infa­mie que la catho­lique et romaine dut assu­mer tant bien que mal avant de se refaire une santé grâce à un mariage rédemp­teur. Il fal­lut au fils ten­ter de « récu­pé­rer » sa mère. Et les lettres sont celles d’un amour qui ne se dit pas. Mais elles font plus — non sans iro­nie, crise, récri­mi­na­tions et rares lamentos.

L’immense cor­pus est pas­sion­nant. Il s’étend sur  cin­quante ans. La mère res­tera jusqu’à sa mort son « tour­ment, l’objet de son déses­poir ». Non sans rai­son : aban­don, pla­ce­ment en famille d’accueil, bri­mades, reproches, déni­gre­ment, bou­de­ries, tels fut le lot pour cet enfant chargé de l’opprobre et devant en payer (pour elle ?) le prix. La mère ne man­qua pas de le lui rap­pe­ler. Dès lors, cette Ida Gavillet, née Bor­geaud à Illar­saz, l’auteur fera tout pour la séduire pour se sen­tir sinon mieux du moins pas trop mal, culti­vant au pas­sage envers son beau-père le même anta­go­nisme que celui de Bau­de­laire avec le sien.

Certes, la cor­res­pon­dance ne soigne rien, ne cau­té­rise en aucune façon la plaie : elle la creuse, rend pal­pable la détresse de l’âme. D’où cet effet de sidé­ra­tion que pro­duisent ces lettres en leur “ mixage ” d’envoûtement, d’attraction, de répul­sion, de désir et d’interdit. L’inconscient semble tou­jours frap­per à la porte des mis­sives. La cas­tra­tion et l’Oedipe res­tent évi­dem­ment une piste à creu­ser pour les com­prendre voire pour s’en délec­ter. Il y a cepen­dant dans l’écriture d’un écri­vain un acte d’autorité très dif­fé­rent de celui du psy­cha­na­lyste. Le pre­mier décide et tranche – au besoin de manière, injuste, dis­cu­table. Preuve qu’il existe dans ces lettres deux Bor­geaud : celui qui ne sait pas (ou trop bien) ce qu’il en est de l’amour et l’écrivain qui donne sens à ses doutes (ou ses cer­ti­tudes).
Les lettres sont donc à l’image de leur auteur coupé en deux  : il culti­vait l’adhésion et le rejet, le désir du « sublime » et l’attrait pour la « fange », le goût des autres et la misan­thro­pie, la sen­sua­lité et l’abstinence.

jean-paul gavard-perret

Georges Bor­geaud, Lettres à ma mère 1923–1978, La Biblio­thèque des Arts, Lau­sanne, fév. 2015, 800 p. — 25,00 €.

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