Quel enfant (principalement de sexe masculin) n’a pas joué avec des soldats ? L’ère de la télévision - qui signa le glissement du jeu actif au jeu passif — n’a fait que reprendre les jeux que les gamins agençaient. Ils étaient moins dangereux qu’on ne le croit : les soldats se relevaient sans fin. Poète de l’immense et magique forêt d’Ardenne dont il est devenu l’hôte, Jean-Luc Duvivier de Fortemps fait retourner à l’enfance par l’univers des soldats dits de plomb. On les croyait bien désuets : mais des jeux postmodernes comme « Donjon et Dragon » leur redonnent une nouvelle jeunesse et les magasins de modélisme se font fait grâce à eux une nouvelle santé.
Jean-Luc Duvivier dans son livre de rêve les scénarise en divers scènes de genres. Le voyage est quasiment mondial : chevaliers, peaux-rouges, croisés, cow-boys renouvellent l’enchantement premier à travers châteaux, fortins du grand ouest américain aux forêts magiques du nord jusqu’aux déserts de l’Arabie. Le regardeur-lecteur se grise de vitesse espace-temps grâce à la succession des petits faucons ensorcelés que nous posions devant nous pour jouer et méditer. Ils planaient immobiles au dessus des tours comme des Saints-Esprits pétrifiés et se métamorphosaient en chasseurs pour fondre en piquées sur ceux qu’ils ne prenaient pas — hélas ! — pour leurs semblables.
Fidèle à l’imaginaire guerrier, ce monde ludique ignorait la féminine engeance : peut-être parce que les garnements n’avaient pas encore un imaginaire suffisamment structuré pour une telle avancée… Le mystère ailé des princesses n’éveillait que fort peu les petits ducs aux nuits de suavité. Mais qu’importe : l’âge du plomb des soldats est aussi celui du cristal. Les « fresques » en 3 D. photographiées par Xavier Riou le rappellent. Les vieux enfants que nous sommes se souviennent des impulsions premières désormais bien lointaines (sauf aux plus belliqueux). Les ombres du temps s’étirent : les nôtres et celle de l’Histoire, telles que les mythes ludiques les déplacent.
A l’aveuglement des hommes répond sans doute celui de ses jeux.
jean-paul gavard-perret
Jean-Luc Duvivier de Fortemps, Des petits soldats pour rêver, Photos de Xavier Riou, Weyrich Edition, Neufchâteau (Be), 2015, 160 p. — 27,00 €.